Réflexion ... Vieillir



" Vieillir n'est, au fond, pas autre chose que n'avoir plus peur de son passé."
Stefan Zweig

Mais moi , ma vieillesse, je la contemple sans peur : j' en suis très content . Ma compréhension me paraît sans cesse plus claire , je n' ai pas l' impression de décliner mais de progresser . Mes capacités ne diminuent pas . Corporellement , je me sens le même , pas plus fatigué aujourd'hui qu' hier . Sexuellement je ne suis pas tout à fait le même puisqu' aujourd'hui je suis fidèle .

Alerandro JODOROWSKY ( Chili , 1989 )


« Il faut vieillir. Ne pleure pas, ne joins pas des doigts suppliants, ne te révolte pas, il faut vieillir. Répète-toi cette parole, non comme un cri de désespoir, mais comme le rappel d’un départ nécessaire...
Éloigne-toi lentement, lentement, sans larmes ; n’oublie rien ! Emporte ta santé, ta gaîté, ta coquetterie, le peu de bonté et de justice qui t’a rendu la vie moins amère ; n’oublie pas ! Va-t’en parée, va-t’en douce, et ne t’arrête pas le long de la route irrésistible, tu l’essaierais en vain, – puisqu’il faut vieillir ! Suis le chemin, et ne t’y couche que pour mourir. Et quand tu t’étendras en travers du vertigineux ruban ondulé, si tu n’as pas laissé derrière toi un à un tes cheveux en boucles, ni tes dents une à une, ni tes membres un à un usés, si la poudre éternelle n’a pas, avant ta dernière heure, sevré tes yeux de la lumière merveilleuse – si tu as, jusqu’au bout gardé dans ta main la main amie qui te guide, couche-toi en souriant, dors heureuse, dors privilégiée… »

Les Vrilles de la vigne - George Sand


"Vieillir, c'est chiant" : par Bernard PIVOT

J’aurais pu dire :
vieillir, c’est désolant,
c’est insupportable,
c’est douloureux, c’est horrible,
c’est déprimant, c’est mortel.
Mais j’ai préféré « chiant » parce que c’est un adjectif vigoureux qui ne fait pas triste.
Vieillir, c’est chiant parce qu’on ne sait pas quand ça a commencé et l’on sait encore moins quand ça finira.
Non, ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre naissance.
On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant.
On était bien dans sa peau.
On se sentait conquérant. Invulnérable.
La vie devant soi. Même à cinquante ans, c’était encore très bien. Même à soixante.
Si, si, je vous assure, j’étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme.
Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps –
mais quand – j’ai vu le regard des jeunes, des hommes et des femmes dans la force de l’âge qu’ils ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge.
J’ai lu dans leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence à mon égard.
Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables. Sans m’en rendre compte, j’étais entré dans "l’apartheid de l’âge".
Le plus terrible est venu des dédicaces des écrivains, surtout des débutants.
« Avec respect »,
« En hommage respectueux »,
« Avec mes sentiments très respectueux ».
Les salauds ! Ils croyaient probablement me faire plaisir en décapuchonnant leur stylo plein de respect ?
Les cons !
Et du « cher Monsieur Pivot » long et solennel comme une citation à l’ordre des Arts et Lettres qui vous fiche dix ans de plus !

Un jour, dans le métro, c’était la première fois, une jeune fille s’est levée pour me donner sa place.
J’ai failli la gifler....
Puis la priant de se rassoir, je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux, si je lui étais apparu fatigué.
« Non, non, pas du tout, a-t-elle répondu, embarrassée.
J’ai pensé que… » Moi aussitôt :
«Vous pensiez que…?
-- Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de vous assoir.
– Parce que j’ai les cheveux blancs?
– Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que moi, ç’a été un réflexe, je me suis levée…-
- Je parais beaucoup beaucoup plus âgé que vous?
–Non, oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une question d’âge… --Une question de quoi, alors?
– Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je crois…»

J’ai arrêté de la taquiner, je l’ai remerciée de son geste généreux et l’ai accompagnée à la station où elle descendait pour lui offrir un verre.

Lutter contre le vieillissement c’est, dans la mesure du possible, Ne renoncer à rien.
Ni au travail, ni aux voyages,
Ni aux spectacles, ni aux livres,
Ni à la gourmandise, ni à l’amour, ni au rêve.
Rêver, c’est se souvenir tant qu’à faire, des heures exquises. C’est penser aux jolis rendez-vous qui nous attendent.
C’est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l’utopie.
La musique est un puissant excitant du rêve.
La musique est une drogue douce.
J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en écoutant
soit l’adagio du Concerto no 23 en la majeur de Mozart,
soit, du même, l’andante de son Concerto no 21 en ut majeur, musiques au bout desquelles se révèleront à mes yeux pas même étonnés les paysages sublimes de l’au-delà.

Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés. Nous allons prendre notre temps.
Avec l’âge le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement. Nous ignorons à combien se monte encore notre capital.
En années? En mois? En jours?
Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous reste comme un capital.
Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans modération.
Après nous, le déluge? Non, Mozart.

Bernard Pivot - Les mots de ma vie 2011

VIEILLIR… Eric Emmanuel Schmitt

Ça frappe par surprise, la vieillesse, même si ça vient lentement. Personne n’est préparé à être vieux, ça désarçonne quand ça se manifeste, beaucoup d’entre nous le refusent, l’oublient, le combattent. Si rien n’est plus naturel que vieillir, rien n’est moins acceptable. Le problème de la vieillesse, c’est que ça n’arrive qu’à des gens jeunes.
Grandir, lorsque nous sommes enfants, nous le souhaitons, nous le voulons, nous le revendiquons. « Ne me parle pas comme un bébé, j’ai six ans. » « J’ai dix et sept mois. » « Dix ans ? » « Dix et sept mois ». « Pardon… et sept mois… impressionnant ! ». Parfois, nous mentons pour anticiper sur un âge que nous n’avons pas encore. Petits, nous avons rêvé d’être vieux - il est bien rare que, jeunes, nous en rêvions encore !
Parce que grandir, c’est s’agrandir. Tandis que vieillir c’est s’amenuiser. Nous percevons la vieillesse comme un affaiblissement, une perte de nos forces, de nos moyens, de notre vitalité. En un mot : une défaite. Aujourd’hui, dans une société obsédée par la jeunesse, la beauté jeune, les idées jeunes, l’apparence jeune, nous ne considérons pas la vieillesse comme un âge de l’homme, mais comme une maladie qui conduit à la mort. Alors que les progrès de l’hygiène, de l’alimentation et des soins permettent à des millions d’hommes d’atteindre des âges inenvisageables il y a seulement cent ans, alors que la population vieillit, la vieillesse effraie. Techniquement capables de vivre vieux, nous sommes mentalement incapables de devenir vieux.
Puis-je vous faire un aveu ? J’ai toujours souhaité être vieux. Et je garde l’ambition d’y arriver un jour, si mon médecin me soigne bien. Je crois même que je me suis lancé dans l’écriture pour cette raison, devenir les autres que je ne suis pas, enfiler des peaux étrangères, avoir des âges que je n’ai plus ou que je ne suis pas sûr d’atteindre, posséder aussi un sexe que je n’ai pas et que je suis certain de ne pas avoir. Cette aventure-là, ces voyages, cette exploration des différentes contrées de l’humanité, l’art romanesque et théâtral les porte en lui, les rend possibles.
Vous allez me dire qu’en écrivant, en faisant parler Monsieur Ibrahim, vieil épicier musulman, ou une dame rose visiteuse d’enfants malades qui prétend avoir été catcheuse, je peux éprouver du plaisir à être vieux puisque je ne le suis pas. Cela se passe dans l’imaginaire. Les avantages sans les inconvénients, la vieillesse sans les rhumatismes, le cœur qui s’use ou les ennuis prostatiques.
L’enfance et la vieillesse me semblent des âges contemplatifs, méditatifs, au fond, des âges philosophiques.

VIEILLIR... (Suite)

L’enfance et la vieillesse me semblent des âges contemplatifs, méditatifs, au fond, des âges philosophiques. Pour cette raison, dans plusieurs de mes petits romans, j’ai aimé faire se rencontrer des enfants et des vieillards, Momo et Monsieur Ibrahim, Oscar et la Dame Rose, Joseph et le Père Pons. Aux deux bouts de la vie, des êtres de chair et de sang se parlent. Ces enfants ont des problèmes et ces vieillards vont les aider à les traverser, eux qui en ont traversé tant d’autres pour arriver à cet âge. Ils sont généreux, généreux non pas de leur expérience – car l’expérience des autres ne sert à personne – mais généreux de leur attention, de leur temps, de leur amour. Quand, parfois, ils apportent des réponses aux questions des enfants, ils précisent que celles-ci demeurent simplement des réponses, des réponses parmi d’autres. Ils offrent « leur » vérité, pas « la » vérité, leur vérité qui est une vérité humble comme eux, une vérité provisoire comme eux. Ils ont le sens de l’interrogation, à l’instar des enfants, mais ils ont adopté des réponses pour pouvoir vivre. Cependant, ils demeurent convaincus que ces réponses ne peuvent devenir des certitudes. Les certitudes et les faiseurs de certitudes, ils en ont trop vu au cours de leur longue vie pour tomber dans le piège. Ils distillent donc une philosophie humble, friable, aisée à bousculer ou à remettre en question, bref une philosophie de vieillard.

La philosophie rend fort mais la philosophie n’est pas forte. Loin de là. La philosophie n’apporte pas toujours la solution, rarement même. Elle nous apprend seulement à mieux poser les questions et demeurer critique par rapport aux réponses que nous pourrions trouver. La philosophie vise à nous guérir de l’illusion de savoir. Pour moi, la philosophie est à la fois enfantine et vieille. Si la question et l’étonnement appartiennent à l’enfance, la réponse philosophique est vieille car lucide, fragile, prête à se briser ou se laisser briser, sans violence et sans domination.

Souvent je rêve que notre civilisation jette un œil bienveillant sur la vieillesse, mieux un œil respectueux, un œil admiratif. En Afrique et dans une partie du Moyen-Orient, on considère la personne âgée comme un trésor et je me surprends souvent à penser que peut-être vaut-il mieux vieillir dans ces pays-là que chez nous…

CE QUE LE TEMPS ABÎME.

" Ce que le temps abîme, ce n’est pas le corps, c’est la confiance que nous lui portons ; nous avons découvert que des pieds, des jambes, des épaules ou des fesses pouvaient être différents des nôtres, nous avons cédé au mal des comparaisons, et nous avons appris, lors de révélations brutales, que nous avions nous-mêmes changé."

( Les Perroquets de la place d'Arezzo - Eric-Emmanuel Schmitt )

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