Poésie ininterrompue - Eluard
Poésie ininterrompue
Allez donc pleurer ou rire
Dans ce monde de buvard
Prendre forme dans l’informe
Prendre empreinte dans le flou
Prendre sens dans l’insensé
Dans ce monde sans espoir
Si nous montions d’un degré
Eluard
Poésie ininterrompue de Paul Eluard (extrait)
Nue effacée ensommeillée
Choisie sublime solitaire
Profonde oblique matinale
Fraîche nacrée ébouriffée
Ravivée première régnante
Coquette vive passionnée
Orangée rose bleuissante
Jolie mignonne délurée
Naturelle couchée debout
Étreinte ouverte rassemblée
Rayonnante désaccordée
Gueuse rieuse ensorceleuse
Étincelante ressemblante
Sourde secrète souterraine
Aveugle rude désastreuse
Boisée herbeuse ensanglantée
Sauvage obscure balbutiante
Ensoleillée illuminée
Fleurie confuse caressante
Instruite discrète ingénieuse
Fidèle facile étoilée
Charnue opaque palpitante
Inaltérable contractée
Pavé construite vitrifiée
Globale haute populaire
Barrée gardée contradictoire
Égale lourde métallique
Impitoyable impardonnable
Surprise dénouée rompue
Noire humiliée éclaboussée
Sommes nous deux ou suis-je solitaire
Comme une femme solitaire
Qui dessine pour parler
Dans le désert
Et pour voir devant elle
L’année pour être heureuse
Un été en barres
Et l’hiver la neige est un lit bien fait
Quant au printemps on s’en détache
Avec des ailes bien formées
Revenue de la mort revenue de la vie
Je passe de juin à décembre
Par un miroir indifférent
Tout au creux de la vue
Comme une femme solitaire
Resterai-je ici bas
Aurai-je un jour réponse à tout
Et réponse à personne
Le poids des murs ferme toutes les portes
Le poids des arbres épaissit la forêt
Va sur la pluie vers le ciel vertical
Rouge et semblable au sang qui noircira
Le soleil naît sur la tranche d’un fuit
La lune naît au sommet de mes seins
Le soleil fuit la rosée
La lune se limite
La vérité c’est que j’aimais
Et la vérité c’est que j’aime
De jour en jour l’amour me prend première
Pas de regrets j’ignore tout d’hier
Je ne ferais pas de progrès
Sur une autre bouche
Le temps me prendrait première
Et l’amour n’a pas le temps
Qui dessine dans le sable
Sous la langue des grands vents
Je parle en l’air
A demi-mot
Je me comprends
L’aube et la bouche où rit l’azur des nuits
Pour un petit sourire tendre
Mon enfant frais de ce matin
Que personne ne regarde
Mon miroir est détaché
De la grappe des miroirs
Une maille détachée
L’amour juste le reprend
Rien ne peut déranger l’ordre de la lumière
Où je ne suis que moi-même
Et ce que j’aime
Et sur la table
Ce pot plein d’eau et le pain du repos
Au fil des mains drapées d’eau claire
Au fil du pain fait pour la main friande
De l’eau fraîche et du pain chaud
Sur les deux versants du jour
Aujourd’hui lumière unique
Aujourd’hui l’enfance entière
Changeant la vie en lumière
Sans passé sans lendemain
Aujourd’hui rêve de nuit
Au grand jour tout se délivre
Aujourd’hui je suis toujours
Je serai la première et la seule sans cesse
Il n’y a pas de drame il n’y a que mes yeux
Qu’un songe tient ouverts
Ma chair est ma vertu
Elle multiplie mon image
Je suis ma mère et mon enfant
En chaque point de l’éternel
Mon teint devient plus clair
Mon teint devint plus sombre
Je suis mon rayon de soleil
Et je suis mon bonheur nocturne
Tous les mots sont d’accord
La boue est caressante
Quand la terre dégèle
Le ciel est souterrain
Quand il montre la mort
Le soir est matinal
Après un jour de peine
Mais l’homme
L’homme aux lentes barbaries
L’homme comme un marais
L’homme à l’instinct brouillé
A la chair en exil
L’homme aux clartés de serre
Aux yeux fermés l’homme aux éclairs
L’homme mortel et divisé
Au front saignant d’espoir
L’homme en butte au passé
Et qui toujours regrette
Isolé quotidien
Dénué responsable
Savoir vieillir savoir passer le temps
Savoir régner savoir durer savoir revivre
Il rejeta ses draps il éclaira la chambre
Il ouvrit les miroirs légers de sa jeunesse
Et les longues allées qui l’avaient reconduit
Être un enfant être une plume à sa naissance
Être la source invariable et transparente
Toujours être au cœur blanc une goutte de sang
Une goutte de feu toujours renouvelée
Mordre un rire innocent mordre à même la vie
Rien n’a changé candeur rien n’a changé désir
L’hiver j’ai mon soleil il fait fleurir ma neige
Et l’été qui sent bon a toutes les faiblesses
L’on m’aimera car j’aime par dessus tout ordre
Et je suis prêt à tout pour l’avenir de tous
Et je ne connais rien de rien à l’avenir
Mais j’aime pour aimer et je mourrai d’amour
Il se mit à genoux pour un premier baiser
La nuit était pareille à la nuit d’autrefois
Et ce fut le départ et la fin du passé
La conscience amère qu’il avait vécu
Alors il réveilla les ombres endormies
La cendre grise et froide d’un murmure tu
La cendre de l’aveugle et la stérilité
Le jour sans espérance et la nuit sans sommeil
L’égale pauvreté d’une vie limitée
Tous les mots se reflètent
Et les larmes aussi
Dans la force perdue
Dans la force rêvée
Hier c’est la jeunesse hier c’est la promesse
Pour qu’un seul baiser la retienne
Pour que l’entoure le plaisir
Comme un été blanc bleu et blanc
Pour qu’il lui soit une règle d’or pur
Pour que sa gorge bouge douce
Sous la chaleur tirant la chair
Vers une caresse infinie
Pour qu’elle soit comme une plaine
Nue et visible de partout
Pour qu’elle soit comme une pluie
Miraculeuse sans nuage
Comme une pluie entre deux feux
Comme une larme entre deux rires
Pour qu’elle soit neige bénie
Sous l’aile tiède d’un oiseau
Lorsque le sang coule plus vite
Dans les veines du vent nouveau
Pour que ses paupières ouvertes
Approfondissent la lumière
Parfum total à son image
Pour que sa bouche et le silence
Intelligibles se comprennent
Pour que ses mains posent leur paume
Sur chaque tête qui s’éveille
Pour que les lignes de ses mains
Se continuent dans d’autres mains
Distances à passer le temps
Je fortifierai mon délire
De l’océan à la source
De la montagne à la plaine
Court le fantôme de la vie
L’ombre sordide de la mort
Mais entre nous
Une aube naît de chair ardente
Et bien précise
Qui remet la terre en état
Nous avançons d’un pas tranquille
Et la nature nous salue
Le jour incarne nos couleurs
Le feu nos yeux et la mer notre union
Et tous les vivants nous ressemblent
Tous les vivants que nous aimons
Les autres sont imaginaires
Faux et cernés de leur néant
Mais ils nous faut lutter contre eux
Ils vivent à coup de poignard
Ils parlent comme un meuble craque
Leurs lèvres tremblent de plaisir
A l’écho de cloches de plomb
A la mutité d’un or noir
Un cœur seul pas de cœur
Un seul cœur tous les cœurs
Et les corps chaque étoile
Dans un ciel plein d’étoiles
Dans la carrière en mouvement
De la lumière et des regards
Notre poids brillant sur terre
Patine de la volupté
A chanter des plages humaines
Pour toi la vivante que j’aime
Et pour tous ceux que nous aimons
Qui n’ont envie que de s’aimer
Je finirai bien par barrer la route
Au flot des rêves imposés
Je finirai bien par me retrouver
Nous prendrons possession du monde
O rire végétal ouvrant une clairière
De gorges chantonnant interminablement
Mains où le sang s’est effacé
Où l’innocence est volontaire
Gaieté gagnée tendresse du bois mort
Chaleurs d’hiver pulpes séchées
Fraîcheurs d’été sortant des fleurs nouvelles
Constant d’amour multiplié tout nu
Rien à haïr et rien à pardonner
Aucun destin n’illustre notre front
Dans l’orage notre faiblesse
Est l’aiguille la plus sensible
Et la raison de l’orage
Image ô contact parfait
L’espace est notre milieu
Et le temps notre horizon
Quelques cailloux sur un sentier battu
De l’herbe comme un souvenir vague
Le ciel couvert et la nuit en avance
Quelques vitrines étrennant leurs lampes
Des trous la porte et la fenêtre ouvertes
Sur des gens qui sont enfermés
Un petit bar vendu et revendu
Apothéose de chiffres
Et de soucis et de mains sales
Un désastre profond
Où tout est mesuré même la tristesse
Même la dérision
Même la honte
La plainte est inutile
Le rire est imbécile
Le désert des taches grandit
Mieux que sur un suaire
Les yeux ont disparu les oiseaux volent bas
On n’entend plus le bruit des pas
Le silence est comme une boue
Pour les projets sans lendemain
Et soudain un enfant crie
Dans la cage de son ennui
Un enfant remue des cendres
Et rien de vivant ne bouge
Je rends compte du réel
Je prends garde à mes paroles
Je ne veux pas me tromper
Je veux savoir d’où je pars
Pour conserver tant d’espoir
Mes origines sont les larmes
Et la fatigue et la douleur
Et le moins de beauté
Et le moins de beauté
Le regret d’être au monde et l’amour sans vertu
M’ont enfanté dans la misère
Comme un murmure comme une ombre
Ils mourront ils sont morts
Mais ils vivront glorieux
Sable dans le cristal
Nourricier malgré lui
Plus clair qu’en plein soleil
Le regret d’être au monde
Je n’ai pas de regrets
Plus noir plus lourd est mon passé
Plus léger et limpide est l’enfant que j’étais
L’enfant que je serai
Et la femme que je protège
La femme dont j’assume
L’éternelle confiance
Comme une femme solitaire
Qui dessine pour parler
Dans le désert
Et pour voir devant elle
Par charmes et caprices
Par promesses par abandons
Entr’ouverte à la vie
Toujours soulignée de bleu
Comme une femme solitaire
A force d’être l’une ou l’autre
Et tous les éléments
Je saurais dessiner comme mes mains épousent
La forme de mon corps
Je saurai dessiner comme le jour pénètre
Au fin fond de mes yeux
Et ma chaleur fera s’étendre les couleurs
Sur le lit de mes nuits
Sur la nature nue où je tiens une place
Plus grande que mes songes
Où je suis seule et nue où je suis l’absolu
L’être définitif
La première femme apparue
Le premier homme rencontré
Sortant du jeu qui les mêlait
Comme doigts d’une même main
La première femme étrangère
Et le premier homme inconnu
La première douleur exquise
Et le premier plaisir panique
Et la première différence
Entre des êtres fraternels
Et la première ressemblance
Entre des êtres différents
Le premier champ de neige vierge
Pour un enfant né en été
Le premier lait entre les lèvres
D’un fils de chair de sang secret
Buisson de roses et d’épines
Route de terre et de cailloux
A ciel ardent ciel consumé
A froid intense tête claire
Rocher de fardeaux et d’épaules
Lac de reflets et de poissons
A jour mauvais bonté remise
A mer immense voile lourde
Et j’écris pour marquer les années et les jours
Les heures et les hommes leur durée
Et les parties d’un corps commun
Qui a son matin
Et son midi et son minuit
Et de nouveau son matin
Inévitable et paré
De force et de faiblesse
De beauté et de laideur
De repos agréable et de misérable lumière
Et de gloire provoquée
D’un matin sorti d’un rêve le pouvoir
De mener à bien la vie
Les matins passés les matins futurs
Et d’organiser le désastre
Et de séparer la cendre du feu
D’une maison les lumières naturelles
Et les ponts jetés sur l’aube
D’un matin la chair nouvelle
La chair intacte pétrie d’espoir
Dans la maison comme un glaçon qui fond
Du bonheur la vue sans pitié
Les yeux bien plantés sur leurs jambes
Dans la fumée de la santé
Du bonheur comme une règle
Comme un couteau impitoyable
Tranchant de tout
Sauf de la nécessité
D’une famille le cœur clos
Gravé d’un nom insignifiant
D’un rire la vertu comme un jeu sans perdant
Montagne et plaine
Calculés en tout point
Un cadeau contre un cadeau
Béatitudes s’annulant
D’un brasier les cloches d’or aux paupières lentes
Sur un paysage sans fin
Volière peinte dans l’azur
Et d’un sein supposé le poids sans réserves
Et d’un ventre accueillant la pensée sans raison
Et d’un brasier les cloches d’or aux yeux profonds
Dans un visage grave et pur
D’une volière peinte en bleu
Où les oiseaux sont des épis
Jetant leur or aux pauvres
Pour plus vite entrer dans le noir
Dans le silence hivernal
D’une rue
D’une rue ma défiguration
Au profit de tous et de toutes
Les inconnus dans la poussière
Ma solitude mon absence
D’une rue sans suite
Et sans saluts
Vitale
Et pourtant épuisante
La rencontre niée
De la fatigue le brouillard
Prolonge loques et misères
A l’intérieur de la poitrine
Et le vide aux tempes éteintes
Et le crépuscule aux artères
Du bonheur la vue chimérique
Comme au bord d’une abîme
Quand une grosse bulle blanche
Vous crève dans la tête
Et que le cœur est inutilement libre
Mais du bonheur permis et qui commence à deux
La première parole
Est déjà un refrain confiant
Contre la peur contre la faim
Un signe de ralliement
D’une main composée pour moi
Et qu’elle soit faible qu’importe
Cette main double la mienne
Pour tout lier tout délivrer
Pour m’endormir pour m’éveiller
D’un baiser la nuit des grands rapports humains
Un corps auprès d’un autre corps
La nuit des grands rapports terrestres
La nuit native de ta bouche
La nuit où rien ne nous sépare
Que ma parole pèse sur la nuit qui passe
Et que s’ouvre toujours la porte par laquelle
Tu es entrée dans ce poème
Porte de ton sourire et porte de ton corps
Par toi je vais de la lumière à la lumière
De la chaleur à la chaleur
C’est par toi que je parle et tu restes au centre
De tout comme un soleil consentant au bonheur
Mais il nous faut encore un peu
Accorder nos yeux clairs à ces nuits inhumaines
Des hommes qui n’ont pas trouvé la vie sur terre
Il nous faut qualifier leur sort pour les sauver
Nous partirons d’en bas nous partirons d’en haut
De la tête trop grosse et de la tête infime
En haut un rien de tête en bas l’enflure ignoble
En haut rien que tu front en bas rien que menton
Rien que prison collant aux os
Rien que chair vague et poissons gobés
Par la beauté par la laideur sans répugnance
Toujours un œil aveugle une langue muette
Une main inutile un cœur sans résonance
Près d’une langue experte et qui voit loin
Près d’un œil éloquent près d’une main prodigue
Trop près d’un cœur qui fait la loi
La loi la feuille morte et la voile tombée
La loi la lampe éteinte et le plaisir gâché
La nourriture sacrifiée l’amour absurde
La neige sale et l’aile inerte et la vieillesse
Sur les champs un ciel étroit
Soc du néant sur les tombes
Au tournant les chiens hurlant
Vers une carcasse folle
Au tournant l’eau est crépue
Et les champs claquent des dents
Et les chiens sont des torchons
Léchant des vitres brisés
Sur les champs la puanteur
Roule noire et bien musclée
Sur le ciel tout ébréché
Les étoiles sont moisies
Allez donc penser à l’homme
Allez donc faire un enfant
Allez donc pleurer ou rire
Dans ce monde de buvard
Prendre forme dans l’informe
Prendre empreinte dans le flou
Prendre sens dans l’insensé
Dans ce monde sans espoir
Si nous montions d’un degré
Le jour coule comme un œuf
Le vent fané s’effiloche
Toute victoire est semblable
Des ennemis des amis
Ennemis amis pâlots
Que même le repos blesse
Et de leurs drapeaux passés
Ils enveloppent leurs crampes
Beaux oiseaux évaporés
Ils rêvent de leurs pensées
Ils se tissent des chapeaux
Cent fois plus grands que leur tête
Ils méditent leur absence
Et se cachent dans leur ombre
Ils ont été au présent
Ceci entre parenthèses
Ils croient qu’ils ont été des diables des lionceaux
Des chasseurs vigoureux des nègres transparents
Des intrus sans vergogne et des rustres impurs
Des monstres opalins et des zèbres pas mal
Des anonymes redoutables
Des calembours et des charades
Et la ligne de flottaison
Sur le fleuve héraclitéen
Et l’hospitalité amère
Dans un asile carnassier
Et le déshonneur familial
Et le point sec des abreuvoirs
Ils croient ils croient mais entre nous
Il vaut encore mieux qu’ils croient
Si nous montions d’un degré
C’est la santé l’élégance
En dessous roses et noirs
Rousseurs chaudes blancheurs sobres
Rien de gros rien de brumeux
Les coquilles dans la nuit
D’un piano sans fondations
Les voitures confortables
Aux roues comme des guirlandes
C’est le luxe des bagages
Blasés jetés à la mer
Et l’aisance du langage
Digéré comme un clou par un mur
Les idées à la rigolade
Les désirs à l’office
Une poule un vin la merde
Réchauffés entretenus
Si nous montions d’un degré
Dans ce monde sans images
Vers le plainte d’un berger
Qui est seul et qui a froid
Vers une main généreuse
Qui se tend et que l’on souille
Vers un aveugle humilié
De se cogner aux fenêtres
Vers l’excuse désolée
D’un malheureux sans excuses
Vers le bavardage bête
Des victimes consolées
Semaines dimanches lâches
Qui s’épanchent dans le vide
Durs travaux loisirs gâchés
Peaux grises résorbant l’homme
Moralité de fourmi
Sous les pieds d’un plus petit
Si nous montions d’un degré
La misère s’éternise
La cruauté s’assouvit
Les guerres s’immobilisent
Sur les glaciers opulents
Entre les armes en broussailles
Sèchent la viande et le sang
De quoi calmer les âmes amoureuses
De quoi varier le cours des rêveries
De quoi provoquer l’oubli
Aussi de quoi changer la loi
La loi la raison pratique
Et que comprendre juge
L’erreur selon l’erreur
Si voir était la foudre
Au pays des charognes
Le juge serait dieu
Il n’y a pas de dieu
Si nous montions d’un degré
Vers l’extase sans racines
Toute bleue j’en suis payé
Aussi bien que de cantiques
Et de marches militaires
Et de mots définitifs
Et de pas entraînants
Et la secousse idéale
De la vanité sauvage
Et le bruit insupportable
Des objecteurs adaptés
Le golfe d’une serrure
Abrite trop de calculs
Et je tremble comme une feuille
Au passage des saisons
Ma sève n’est qu’une excuse
Mon sang n’est qu’une raison
Si nous montions d’un degré
Mes vieux amis mon vieux Paul
Il faut avouer
Tout avouer et pas seulement le désespoir
Vice des faibles sans sommeil
Et pas seulement nos rêves
Vertu des forts anéantis
Mais le reflet brouillé la vilaine blessure
Du voyant dénaturé
Vous acceptez j’accepte d’être infirme
La même sueur baigne notre suicide
Mes vieux amis
Vieux innocents et vieux coupables
Dressés contre la solitude
Où s’allume notre folie
Où s’accuse notre impatience
Nous ne sommes seuls qu’ensemble
Nos amours se contredisent
Nous exigeons tout de rien
L’exception devient banale
Mais notre douleur aussi
Et notre déchéance
Nous nous réveillons impurs
Nous nous révélons obscurs
Brutes mentales du chaos
Vapeurs uniques de l’abîme
Dans la basse région lyrique
Où nous nous sommes réunis
Mes vieux amis pour être séparés
Pour être plus nombreux
Si nous montions d’un degré
Sur des filles couronnées
Une épave prend le large
A l’orient de mon destin
Aurai-je un frère demain
Sur des ruines virginales
Aux ailes de papillon
Friandises de l’hiver
Quand la mère joue la morte
Sans passion et sans dégoût
Une ruche couve lourde
Dans une poche gluante
Paume attachée à son bien
Comme la cruche à son eau
Et le printemps aux bourgeons
Fer épousé par la forge
Or maté en chambre forte
Nue inverse rocher souple
D’où rebondit la cascade
Simulacre du sein
Livré aux égoïstes
Mais aussi le sein offert
De l’image reconquise
Plaisir complet plaisir austère
Pommier noir aux pommes mûres
Belle belle rôde et jouit
Fluorescente dentelle
Où l’éclair est une aiguille
La pluie le fil
L’aile gauche du cœur
Se replie sur le cœur
Je vois brûler l’eau pure et l’herbe du matin
Je fais de fleur en fleur sur un corps auroral
Midi qui dort je veux l’entourer de clameurs
L’honorer dans son jour de senteurs de lueurs
Je ne me méfie plus je suis un fils de femme
La vacance de l’homme et le temps bonifié
La réplique grandiloquente
Des étoiles minuscules
Et nous montons
Les derniers arguments du néant sont vaincus
Et le dernier bourdonnement
Des pas revenant sur eux-mêmes
Peu à peu se décomposent
Les alphabets ânonnés
De l’histoire et des morales
Et la syntaxe soumise
Des souvenirs enseignés
Et c’est très vite
La liberté conquise
La liberté feuille de mai
Chauffée à blanc
Et le feu aux nuages
Et le feu aux oiseaux
Et le feu dans les caves
Et les hommes dehors
Et les hommes partout
Tenant toute la place
Abattant les murailles
Se partageant le pain
Dévêtant le soleil
S’embrassant sur le front
Habillant les orages
Et s’embrassant les mains
Faisant fleurir charnel
Et le temps et l’espace
Faisant chanter les verrous
Et respirer les poitrines
Les prunelles s’écarquillent
Les cachettes se dévoilent
La pauvreté rit aux larmes
De ses chagrins ridicules
Et minuit mûrit des fruits
Et midi mûrit des lunes
Tout se vide et se remplit
Au rythme de l’infini
Et disons la vérité
La jeunesse est un trésor
La vieillesse est un trésor
L’océan est un trésor
Et la terre est une mine
L’hiver est une fourrure
L’été une boisson fraîche
Et l’automne un lait d’accueil
Quant au printemps c’est l’aube
Et la bouche c’est l’aube
Et les yeux immortels
Ont la forme de tout
Nous deux toi toute nue
Moi tel que j’ai vécu
Toi la source du sang
Et moi les mains ouvertes
Comme des yeux
Nous deux nous ne vivons que pour être fidèles
A la vie
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