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Affichage des articles du février, 2019

Musset Allégorie du pélican

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Alfred de Musset. Allégorie du Pélican. Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure Que les séraphins noirs t’ont faite au fond du cœur ; Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur. Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète, Que ta voix ici-bas doive rester muette. Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux, Ses petits affamés courent sur le rivage En le voyant au loin s’abattre sur les eaux. Déjà, croyant saisir et partager leur proie, Ils courent à leur père avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux. Lui, gagnant à pas lent une roche élevée, De son aile pendante abritant sa couvée, Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux. Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ; En vain il a des mers fouillé la profond

HENRI MICHAUX - PASSAGES

HENRI MICHAUX - PASSAGES Qu’est-ce que je fais ? J’appelle. J’appelle. J’appelle. Je ne sais qui j’appelle. Qui j’appelle ne sait pas. J’appelle quelqu’un de faible, quelqu’un de brisé, quelqu’un de fier que rien n’a pu briser. J’appelle. J’appelle quelqu’un de là-bas, quelqu’un au loin perdu, quelqu’un d’un autre monde. (C’était donc tout mensonge, ma solidité ?) J’appelle. Devant cet instrument si clair, ce n’est pas comme ce serait avec ma voix sourde. Devant cet instrument chantant qui ne me juge pas, qui ne m’observe pas, perdant toute honte, j’appelle, j’appelle, j’appelle du fond de la tombe de mon enfance qui boude et se contracte encore, du fond de mon désert présent, j’appelle, j’appelle. L’appel m’étonne moi-même. Quoique ce soit tard, j’appelle. Pour crever mon plafond sans doute surtout j’appelle.

ROBERT DESNOS Non l'amour n'est pas mort

ROBERT DESNOS Non l'amour n'est pas mort Non, l'amour n'est pas mort en ce coeur et ces yeux et cette bouche qui proclamait ses funérailles commencées. Écoutez, j'en ai assez du pittoresque et des couleurs et du charme. J'aime l'amour, sa tendresse et sa cruauté. Mon amour n'a qu'un seul nom, qu'une seule forme. Tout passe. Des bouches se collent à cette bouche. Mon amour n'a qu'un nom, qu'une forme. Et si quelque jour tu t'en souviens Ô toi, forme et nom de mon amour, Un jour sur la mer entre l'Amérique et l'Europe, À l'heure où le rayon final du soleil se réverbère sur la surface ondulée des vagues, ou bien une nuit d'orage sous un arbre dans la campagne, ou dans une rapide automobile, Un matin de printemps boulevard Malesherbes, Un jour de pluie, À l'aube avant de te coucher, Dis-toi, je l'ordonne à ton fantôme familier, que je fus seul à t'aimer davantage et qu'il est dommage que

Dulce Maria Loynaz - Ballade de l'amour tardif

Dulce Maria Loynaz - Ballade de l'amour tardif Amour qui arrive tard, apporte moi au moins la paix : amour retardataire, par quel errant chemin arrives tu à ma solitude ? Amour qui m'a cherché sans te chercher, je ne sais ce qui vaut le plus : la parole que tu vas me dire ou celle que je ne dis pas... Amour... N'as tu pas froid ? Je suis la Lune: j'ai la mort blanche et la vérité lointaine... Ne me donnes pas tes roses fraîches; je suis trop grave pour des roses. Donne moi la mer... Amour qui arrives tard, tu ne m'as pas vu hier quand je chantais dans le champ de blé... Amour de mon silence et de ma lassitude, aujourd'hui ne me fais pas pleurer.

André Breton – Moins de temps

André Breton – Moins de temps Moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, moins de larmes qu’il n’en faut pour mourir; j’ai tout compté, voilà. J’ai fait le recensement des pierres ; elles sont au nombre de mes doigts et de quelques autres; j’ai distribué des prospectus aux plantes, mais toutes n’ont pas voulu les accepter. Avec la musique j’ai lié partie pour une seconde seulement et maintenant je ne sais plus que penser du suicide, car si je veux me séparer de moi-même, la sortie est de ce côté et, j’ajoute malicieusement: l’entrée, la rentrée de cet autre côté. Tu vois ce qui te reste à faire. Les heures, le chagrin, je n’en tiens pas un compte raisonnable; je suis seul, je regarde par la fenêtre ; il ne passe personne, ou plutôt personne ne passe (je souligne passe). Ce Monsieur, vous ne le connaissez pas ? c’est M. Lemême. Je vous présente Madame Madame. Et leurs enfants. Puis je reviens sur mes pas, mes pas reviennent aussi, mais je ne sais pas exactement sur quoi ils reviennen

ALEJANDRA PIZARNIK - Poème

ALEJANDRA PIZARNIK - Poème Elle dit qu’elle ne sait rien de la peur de la mort de l ‘amour Elle dit qu’elle a peur de la mort de l’amour Elle dit que l’amour c’est la mort c’est la peur Elle dit que la mort c’est la peur c’est l’amour Elle dit qu’elle ne sait pas

Fernando Pessoa – Lisbon revisited

Fernando Pessoa – Lisbon revisited Rien ne m’attache à rien. Je veux cinquante choses en même temps. Avec une angoisse de faim charnelle j’aspire à un je ne sais quoi - de façon bien définie à l’indéfini… Je dors inquiet, je vis dans l’état de rêve anxieux du dormeur inquiet, qui rêve à demi. On a fermé sur moi toutes les portes abstraites et nécessaires, on a tiré les rideaux de toutes les hypothèses que j’aurais pu voir dans la rue, il n’y a pas, dans celle que j’ai trouvée, le numéro qu’on m’avait indiqué. Je me suis éveillé à la même vie sur laquelle je m’étais endormi. Il n’est jusqu’aux armées que j’avais vues en songe qui n’aient été mises en déroute. Il n’est jusqu’à mes songes, qui ne se soient sentis faux dans l’instant où ils étaient rêvés. Il n’est jusqu’à la vie de mes voeux – même cette vie-là – dont je ne sois saturé. Je comprends par à-coups; j’écris dans les entre-deux de la lassitude, et c’est le spleen du spleen qui me rejette sur la grève. Je ne sa

René TAVERNIER - Il y en a qui prient, il y en a qui fuient

René TAVERNIER - « Il y en a qui prient, il y en a qui fuient » Il y en a qui prient, il y en a qui fuient, Il y en a qui maudissent et d’autres réfléchissent, Courbés sur leur silence, pour entendre le vide, Il y en a qui confient leur panique à l’espoir, Il y en a qui s’en foutent et s’endorment le soir Le sourire aux lèvres. Et d’autres qui haïssent, d’autres qui font du mal Pour venger leur propre dénuement. Et s’abusant eux-mêmes se figurent chanter. Il y a tous ceux qui s’étourdissent… Il y en a qui souffrent, silence sur leur silence, Il en est trop qui vivent de cette souffrance. Pardonnez-nous, mon Dieu, leur absence. Il y en a qui tuent, il y en a tant qui meurent. Et moi, devant cette table tranquille, Écoutant la mort de la ville, Écoutant le monde mourir en moi Et mourant cette agonie du monde.

Liliane Wouters - Au bout de l'amour

Liliane Wouters - Au bout de l'amour Au bout de l’amour il y a l’amour. Au bout du désir il n’y a rien. L’amour n’a ni commencement ni fin. Il ne naît pas, il ressuscite. Il ne rencontre pas. Il reconnaît. Il se réveille comme après un songe Dont la mémoire aurait perdu les clefs. Il se réveille les yeux clairs Et prêt à vivre sa journée. Mais le désir insomniaque meurt à l’aube Après avoir lutté toute la nuit.   Parfois l’amour et le désir dorment ensemble. Et ces nuits-là on voit la lune et le soleil.