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Affichage des articles du mars, 2019

José Saramago – Il doit y avoir

José Saramago – Il doit y avoir Il doit y avoir une couleur à découvrir, Un assemblage de mots caché, Il doit y avoir une clé pour ouvrir La porte de ce mur démesuré. Il doit y avoir une île au Sud, Une corde plus tendre et résonnante, Une autre mer qui nage dans un autre bleu, Une autre hauteur de voix qui chante mieux. Poésie tardive toi qui n’arrives À dire pas même la moitié de ce que tu sais : Ne te tais pas, si possible, ne renie pas Ce corps de hasard où tu ne tiens pas.

VICENTE ALEIXANDRE - Mer Du Paradis

VICENTE ALEIXANDRE - MER DU PARADIS Me voici face à toi, mer, encore... La poussière de la terre sur les épaules, encore imprégné de l'éphémère désir épuisé de l'homme, me voici, lumière éternelle, vaste mer infatigable, ultime expression d'un amour sans limites, rose du monde ardent. Lorsque j'étais enfant, c'était toi la sandale si fraiche à mon pied nu. Une blanche montée d'écume au long de ma jambe doit m'égarer en cette lointaine enfance de délices. Un soleil, une promesse de bonheur, une félicité humaine, une candide corrélation de lumière -- avec les yeux d'autrefois, de toi, mer, de toi, ciel, régnaient, généreux~ sur mon front ébloui, étendant sur mes yeux leur immatérielle mais accessible palme, éventail d'amour ou éclat continu qui imitait des lèvres pour ma peau sans nuages. Au loin la rumeur pierreuse des sombres chemins où les hommes ignoraient leur fulguration vierge encore. Pour moi, enfant gracile, l'ombre d

Réflexion... Paul Auster

PAUL AUSTER * J'admire ceux qui ont le courage de changer d'avis de temps en temps, sur les choses, sur les personnes. C'est une vraie force. (Interview Mars 2013 magazine "Lire".) * La lecture était ma liberté et mon réconfort, ma consolation, mon stimulant favori : lire pour le pur plaisir de lire, pour ce beau calme qui vous entoure quand vous entendez dans votre tête résonner les mots d'un auteur. * Je crois que chaque artiste, chaque personne, qui fait une vie comme ça dans la peinture, dans la musique, dans la littérature, est quelqu'un pour qui le monde n'est pas suffisant. Toujours des gens blessés d'une manière ou d'une autre. (Extrait de l'entretien de Paul Auster avec François Busnel lors de l'émission "Le grand entretien" sur France Inter le 6/3/2013) * Pour trouver quelque chose en soi, dans l'inconscient, il faut être très ouvert et sans préjugés. (Lire, mars 2013. ) * On ne sait pas véritablement qui

Matthieu Gosztola - Extraits

Matthieu Gosztola - Extraits Chaque matin La veuve emplit deux tasses Chaque matin Elle vide le contenu d'une tasse Dans l'évier Le corps debout dans la cuisine Elle égrène un chapelet de groseilles Il y a quelques jours encore Tout était à sa place Au réveil J’ai assisté impuissant à La dispersion des feuilles de mon arbre Dans le vent jaune Elle est belle À en vivre Chaque jour Elle m’apporte l’envie Sur sa robe Sur la chaise l’empreinte De mes doigts Tu adresses timidement quelques mots à la serveuse (ta commande) Elle s’approche trop près, te frôle (caresse ton âme) Tu te réveilles entre ses bras humides Pour s’expliquer, elle dit avoir retrouvé en toi La couleur inimitable des yeux de son père Les tranches dans mon chocolat Au réveil Si elles n’ont pas le goût de tes lèvres Ne passent pas Il n’y a jamais assez de tendresse Pour un homme rongé par l’idée du dernier voyage Mes mains Sur tes paupières Ferment le jour Tu t’approcheras dans un

RENE GUY CADOU - La Nuit

RENE GUY CADOU - La Nuit La nuit ! La nuit surtout je ne rêve pas je vois J'entends je marche au bord du trou J'entends gronder Ce sont les pierres qui se détachent des années La nuit nul ne prend garde C'est tout un pan de l'avenir qui se lézarde Et rien ne vivra plus en moi Comme un moulin qui tourne à vide L'éternité De grandes belles filles qui ne sont pas nées Se donneront pour rien dans les bois Des hommes que je ne connaîtrai jamais Battront les cartes sous la lampe un soir de gel Qu'est-ce que j'aurai gagné à être éternel? Les lunes et les siècles passeront Un million d'années ce n'est rien Mais ne plus avoir ce tremblement de la main Qui se dispose à cueillir des oeufs dans la haie Plus d'envie plus d'orgueil tout l'être satisfait Et toujours la même heure imbécile à la montre Plus de départs à jeun pour d'obscures rencontres Je me dresse comme un ressort tout neuf dans mon lit Je suis debout dans la nu

Carlos Drummond de Andrade – Consolation sur la plage

Carlos Drummond de Andrade – Consolation sur la plage Allons, ne pleure pas… L’enfance est perdue La jeunesse est perdue Mais la vie n’est pas perdue. Le premier amour est passé Le deuxième est passé Le troisième est passé Mais le coeur persiste. Tu as perdu ton meilleur ami Tu n’as tenté aucun voyage Tu ne possèdes ni maison, ni bateau, ni terre, Mais tu as un chien. Certains mots durs, Prononcés doucement, t’ont blessé. Jamais, ils n’ont jamais cicatrisé. Oui mais, et l’humour? L’injustice ne se résout. À l’ombre de ce monde fourvoyé tu as murmuré une protestation timide. Mais d’autres suivront. Tout bien compté, tu devrais te jeter une fois pour toutes dans les flots. Tu es nu sur le sable, dans le vent… Dors, mon petit.

NAZIM HIKMET

"La vie n'est pas une plaisanterie Tu la prendras au sérieux, Comme le fait un écureuil, par exemple, Sans rien attendre du dehors et d'au-delà Tu n'auras rien d'autre à faire que de vivre. La vie n'est pas une plaisanterie, Tu la prendras au sérieux, Mais au sérieux à tel point, Qu'adossé au mur, par exemple, les mains liées Ou dans un laboratoire En chemise blanche avec de grandes lunettes, Tu mourras pour que vivent les hommes, Les hommes dont tu n'auras même pas vu le visage, Et tu mourras tout en sachant Que rien n'est plus beau, que rien n'est plus vrai que la vie. Tu la prendras au sérieux Mais au sérieux à tel point Qu'à soixante-dix ans, par exemple, tu planteras des oliviers Non pas pour qu'ils restent à tes enfants Mais parce que tu ne croiras pas à la mort Tout en la redoutant mais parce que la vie pèsera plus lourd dans la balance." NAZIM HIKMET

GASTON MIRON - L’HOMME AGONIQUE

GASTON MIRON - L’HOMME AGONIQUE  Jamais je n'ai fermé les yeux malgré les vertiges sucrés des euphories même quand mes yeux sentaient le roussi ou en butte aux rafales montantes des chagrins Car je trempe jusqu'à la moelle des os jusqu'aux états d'osmose incandescents dans la plus noire transparence de nos sommeils Tapi au fond de moi tel le fin renard alors je me résorbe en jeux, je mime et parade ma vérité, le mal d'amour, et douleurs et joies Et je m'écris sous la loi d'émeute je veux saigner sur vous par toute l'affection j'écris, j'écris, à faire un fou de moi à me faire le fou du roi de chacun volontaire aux enchères de la dérision mon rire en volées de grelots par vos têtes en chavirées de pluie dans vos jambes Mais je ne peux me déprendre du conglomérat je suis le rouge-gorge de la forge le mégot de survie, l'homme agonique Un jour de grande détresse à son comble je

Jacques Brel

JACQUES BREL Ils sont plus de deux mille Et je ne vois qu´eux deux La pluie les a soudés, Semble-t-il, l´un à l´autre Ils sont plus de deux mille Et je ne vois qu´eux deux Et je les sais qui parlent Il doit lui dire « Je t´aime! » Elle doit lui dire « Je t´aime! » Je crois qu´ils sont en train De ne rien se promettre Ces deux-là sont trop maigres Pour être malhonnêtes Ils sont plus de deux mille Et je ne vois qu´eux deux Et brusquement, il pleure Il pleure à gros bouillons Tout entourés qu´ils sont D´adipeux en sueur Et de bouffeurs d´espoir Qui les montrent du nez Mais ces deux déchirés Superbes de chagrin Abandonnent aux chiens L´exploit de les juger La vie ne fait pas de cadeau Et nom de Dieu c’est triste Orly, le dimanche, Avec ou sans Bécaud! Et maintenant, ils pleurent Je veux dire tous les deux Tout à l´heure c´était lui Lorsque je disais "il" Tout encastrés qu´ils sont Ils n´entendent plus rien Que les sanglots de l´autre Et puis

Guillevic La vie augmente

Guillevic – La vie augmente Quand on nous dit : La vie augmente, ce n’est pas Que le corps des femmes Devient plus vaste, que les arbres Se sont mis à monter Par-dessus les nuages, Que l’on peut voyager Dans la moindre des fleurs, Que les amants Peuvent des jours entiers rester à s’épouser. Mais c’est tout simplement, Qu’il devient difficile De vivre simplement.

SPONDE - Mais Si Faut-Il Mourir

SPONDE - MAIS SI FAUT-IL MOURIR !... Mais si faut-il mourir ! et la vie orgueilleuse, Qui brave de la mort, sentira ses fureurs ; Les Soleils haleront ces journalieres fleurs, Et le temps crevera ceste ampoule venteuse. Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse, Sur le verd de la cire esteindra ses ardeurs ; L'huile de ce Tableau ternira ses couleurs, Et ses flots se rompront à la rive escumeuse. J'ay veu ces clairs esclairs passer devant mes yeux, Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux. Ou d'une ou d'autre part esclatera l'orage. J'ay veu fondre la neige, et ces torrens tarir, Ces lyons rugissans, je les ay veus sans rage. Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.