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Affichage des articles du avril, 2019

LEONOR GNOS - LE BLEU DE L'EAU

LEONOR GNOS - LE Bleu  De  L'eau  Bleu de l'eau un horizon sur mon visage les vagues dans les yeux le miroir de la mémoire avant que l'écume s'érige en fontaines géantes les mouettes se précipitent contre le vent tombent soudain comme des pierres j'aimerais les caresser je sais qu'elles ont peur elles aussi par moments la confusion le fracas je devrais sauter dans l'eau me battre contre l'irradiation sans la tentative de m'accrocher à l'écho du matin car le soir commence à chavirer et la nuit se remplit de voix qui se plaignent un arôme de nécrose sur la langue le flot arrive il est immense il coupe le chemin à tous les cris et le mot n'a plus aucun sens à la première lumière du ciel je recherche le bleu de l'eau l'horizon aux mille visages les yeux dans les vagues pleines de contes de mort

PAUL CELAN, Je suis seul

PAUL CELAN, Je suis seul JE SUIS SEUL, je mets la fleur de cendre dans le verre rempli de noirceur mûrie. Bouche-sœur, tu prononces un mot qui survit devant les fenêtres, et sans un bruit, le long de moi, grimpe ce que je rêvais. Je suis dans l’efflorescence de l’heure défleurie et mets une gemme de côté pour un oiseau tardif : il porte le flocon de neige sur la plume rouge-vie ; le grain de glace dans le bec, il arrive par l’été.

Malcolm Lowry – Trente-cinq mescals à Cuantla

Malcolm Lowry – Trente-cinq mescals à Cuantla Le pire de tout, c’est ce tic-tac, Vous savez, qu’on entend en bateau, dans le train, Et qu’on entend partout, car il est le destin; Tic-tac de la mort vraie, non pas seulement du temps; Termite rongeant les lambris pourris du monde Et pour toi c’est la mort, même si tu connais Le tic-tac silencieux du coeur qui va faillir Dans sa course contre la montre, battement Qu’on entend de partout, qui toujours ralentit Mais qui n’est pourtant pas le tic-tac de la mort vraie, Seulement celui du temps, seulement le carillon Qui sonne dans le coeur quand une peur soudaine Fait grelotter le corps comme un réveil patraque Le réfrigérateur ronronne dans le bar Tandis que la gare émaciée oppose Son bourdonnement aux bruits de la rue Que dirai-je sans injustice De ce lieutenant aux épaules larges – une main Derrière le dos, salie de sang, tient un cigare - Sinon qu’il bouche tout un pan De ce soleil intermittent Sous lequel luttent co

RAINER MARIA RILKE Ô Nostalgie Des Lieux

RAINER MARIA RILKE (1875-1926) Ô NOSTALGIE DES Lieux Ô nostalgie des lieux qui n'étaient point assez aimés à l'heure passagère, que je voudrais leur rendre de loin le geste oublié, l'action supplémentaire ! Revenir sur mes pas, refaire doucement - et cette fois, seul - tel voyage, rester à la fontaine davantage, toucher cet arbre, caresser ce banc ... Monter à la chapelle solitaire que tout le monde dit sans intérêt ; pousser la grille de ce cimetière, se taire avec lui qui tant se tait. Car n'est-ce pas le temps où il importe de prendre un contact subtil et pieux ? Tel était fort, c'est que la terre est forte ; et tel se plaint : c'est qu'on la connaît peu.

FRANCOIS COPPEE - Hymne à La Paix

FRANCOIS COPPEE - HYMNE À LA PAIX La paix sereine et radieuse Fait resplendir l’or des moissons; La nature est blonde et joyeuse, Le ciel est plein de grands frissons. Hosanna dans la fange noire Et dans le pré blanc de troupeaux; Salut, ô reine! ô mère! ô gloire Du fort travail, du doux repos! Viens, nous t’offrons l’encens des meules; Reste avec nous dans l’avenir; Les bras tremblants de nos aïeules Sont tous levés pour te bénir. Le front tourné vers ton aurore, Heureuse paix, nous t’implorons; Et nous rythmons l’hymne sonore Sur les marteaux des forgerons. Reste toujours, reste où nous sommes! Et tes bienfaits seront bénis Par la nature et par les hommes, Par les cités et par les nids. Tous les labeurs sauront te dire Leurs grands efforts jamais troublés: Le saint poète avec la lyre, Le vent du soir avec les blés. Ainsi qu’un aigle ivre d’espace Monte toujours vers le soleil, Le monde entier qui te rend grâce Accourt joyeux à ton réveil; Car le laurier c

JEAN COCTEAU Désespérance

JEAN COCTEAU Désespérance Je n’ai pas dix-huit ans et j’ai déjà souffert ! Faudra-t-il donc toujours avoir le cœur qui saigne, Le front emprisonné dans un étau de fer… Sont-ce les pleurs que l’existence nous enseigne ? Me faudra-t-il marcher vers le tombeau béant Avec l’œil qui se mouille et s’angoisse et s’effare, Et n’oser pas risquer mes pas timides, en Cherchant à l’horizon l’assurance d’un phare ? Me faudra-t-il partir comme je suis venu, Ignorant de tous ceux que j’aurais dû connaître, Avec mes doigts crispés sur mon corps maigre et nu, Et lorsque je mourrai, commencerai-je à naître ? (…) J’aurai goûté le vin sans toucher à la lie, Un vin amer, un vin empoisonneur mais doux ! Je demande à mourir, car j’ai peur de la vie, Et je la laisse aux forts, aux naïfs, et aux fous !

JEAN REVERDY - La cloche cœur

JEAN REVERDY - La cloche cœur La cloche qui sonne on ne l’entend pas L’air est trouble Un bruit de pas glisse sur le palier Personne n’entre Non personne ne veut entrer Il y a là une ombre qui tremble Le soir est à la vitre et baigne la maison Je suis seul Et le temps d’attendre A noué l’heure et la saison Plus rien ne me sépare à présent de la vie Je ne veux plus dormir Le rêve est sans valeur Je ne veux plus savoir ce qui se passe Ni savoir si je pense Ni savoir qui je suis Dans la nuit les murs blancs fondent autour du poêle Quand le chat regardait les signes du plafond Il n’y aura rien ce soir Arrête ta mémoire Personne ne viendra te voir Le cœur mieux étouffé bat sous la couverture Et se démène à corps perdu Qui viendra lui donner Sa dernière blessure Et qu’il ne se réveille plus