Wislawa Szymborska 1923 2012
"Je préfère le ridicule d'écrire des poèmes
au ridicule de ne pas en écrire"
(Options) Les gens sur le pont - 1986
Photographie de la foule
Sur la photo de la foule
ma tête est septième à droite
ou alors quatrième à gauche,
ou alors vingtième en partant du bas;
ma tête je ne sais laquelle,
plus toute seule, plus unique
déjà pareille aux semblables
pas plus mâle que femelle
(...)
in Cas où 1972
Acrobate
D'un trapèze à
à l'autre trapèze, dans le silence après
après le tambour soudain silencieux, à travaers
à travers l'air encore surpris, plus rapide que
que le poids du corps qui, à nouveau,
à nouveau, n'a pas eu le temps de tomber.
Seul. Ou alors moins encore que seul,
moins parce qu'infirme, parce qu'à défaut
à défaut d'ailes, défaut énorme,
défaut qui le contraint
aux survolées honteuses sur son attention nue,
son attention déplumée.
Laborieusement léger,
patiemment agile,
fruit d'une inspiration très calculée. Regarde
comme il s'est embusqué avant l'envol, sais-tu
à quel point il conspire de la tête jusqu'aux pieds
contre celui qu'il est, sais-tu, vois-tu comme
il se faufile, rusé, à travers son image,
et, pour reprendre en mains le monde qui se balance,
il tend ses bras neufs, tout juste nés du corps -
plus beaux que tout maintenant, en cet unique instant,
instant qui, par ailleurs, n'est déjà que du passé.
in Cent blagues 1967
Quelle blague
Et pourquoi pas bonheur pendant qu'il y est ?
Pourquoi pas vérité?
Ou bien éternité?
Voyez-vous ça!
A peine a-t-il séparé le rêve du réel,
à peine a-t-il subodoré que lui c'est lui,
à peine a-t-il taillé d'une Main, née Nageoire,
uns pierre à feu, une fusée,
si facile à noyer dans un verre d'océan,
pas assez drôle pour faire rigoler le néant,
il ne voit que des yeux,
n'entend que des oreilles,
le mieux qu'il trouve à dire c'est du conditionnel,
il use de raison pour juger la raison,
bref, presque personne,
mais piqué d'omniscience, de liberté, et d'être
affranchi de cette viande idiote,
voyez-vous ça !
Car il existe sans doute,
il a eu lieu vraiment,
sous une de ces étoiles tant soit peu provinciales.
Vivace à sa manière, et pas mal remuant.
Pour un piteux marmot du cristal primitif -
sérieusement étonné.
Malgré l'enfance pénible sous le joug du troupeau
pas mal singulier déjà.
Voyez-vous ça!
Pourvu que cela dure, que cela dure un peu,
ne serait-ce qu'un clin d'oeil d'une modeste galaxie !
Qu'on puisse savoir enfin, en gros, ce qu'ilsera,
puisqu'il Est.
Et il Est - oh oui, tenace.
Tenace, il faut bien l'avouer, à l'extrême.
Cet anneau dans le nez, cette toge, ce pull-over.
Quelle blague, quoi qu'on en dise.
Pauv'bébé.
Homme tout craché.
in Cent blagues 1967
Poursuite
Je sais que le silence m'accueillera - et pourtant.
Ni cohue, ni fanfare, ni ovation - et pourtant.
Ni tocsin de terreur, ni terreur elle-même
(...)
in Cas où 1972
Amour heureux
Amour heureux. Est-ce normal,
est-ce sérieux, est-ce bien utile -
que peut tirer le monde de deux personnes
qui ne voient pas le monde?
(...)
in Cas où 1972
Cour des miracles
(...)
Miracle accessoire, comme tout est accessoire:
ce qui est impensable
se laisse penser.
in Les gens sur le pont - 1986
Comptes élégiaques
(...)
Combien auront sauté du temps en marche,
et s'éloignent désormais, de plus en plus poignants,
(si l'on peut se fier au jeu des perspectives) -
(...)
in Fin et début - 1993
Adieu à la vue
Je n'en veux pas au printemps
d'être venu à nouveau.
Je ne lui tiens pas rigueur
de remplir comme chaque année
ses obligations.
Je comprends que mon chagrin
n'arrêtera pas la verdure.
Et le brin d'herbe, s'il hésiteun instant,
c'est sur le souffle du vent
(...)
Une seule chose je refuse.
Revenir à tous ces endroits.
A ce privilège de présence -
je renonce par la présente.
Je t'ai tellement vécu,
et peut-être juste ce qu'il faut,
pour pouvoir y penser de loin
in Fin et début - 1993
Je ne sais quelles gens
Je ne sais quelles gens fuyant je ne sais quels autres.
Dans un je ne sais quel pays sous le soleil
et sous certains nuages
(...)
Foisonnement
Je suis qui je suis.
Hasard inconcevable
comme tout hasard
in Vue avec Grain de sable - 1996
in Je ne sais quelles gens
***********************************
Jamais rien n’arrive deux fois,
jamais rien ne se reproduit,
nous sommes nés sans bon usage
et sans routine mourrons surpris.
Serions-nous cancres les plus sots
à l’école de l’univers,
jamais nous ne redoublerons
aucun été aucun hiver.
Pas un des jours ne se répète
pas une nuit pareille à l’autre,
ni deux baisers tout identiques,
ni deux regards de l’un à l’autre.
Hier quand j’entendis quelqu’un
dire ton nom à haute voix,
ce fut pour moi comme une rose
par la croisée tombant sur moi.
Aujourd’hui nous étions deux,
mais j’ai collé ma face au mur.
Rose? A quoi ressemble une rose?
Est-ce une fleur ou une pierre dure?
Et pourquoi donc, heure mauvaise,
à ces peurs vaines te mêles-tu?
Tu es là et dois passer,
ce sera beau de n’être plus.
Dans nos sourires enlacés,
nous cherchons une entente sûre,
malgré nos grandes différences
ainsi que deux gouttes d’eau pure.
***
https://schabrieres.wordpress.com/2011/04/15/wislawa-szymborska-jamais-deux-fois-1957/
Wisława Szymborska (née en 1923) – Appel à Yéti (1957)
Encore
Dans les wagons plombés
Des prénoms traversent la contrée,
Mais jusqu'où ils voyageront,
Si un jour ils en descendront,
Je n'en sais, je ne vous dirai rien.
Prénom Nathan cogne contre la cloison,
prénom Isaac hurle et chante sa folie,
prénom Sarah pour deux gouttes d'eau supplie,
puisque se meurt de soif le prénom Aaron.
Ne saute pas dans le vide, prénom David.
Ce prénom te flétrit pour la vie,
Ce prénom on ne le donne à personne,
C'est trop lourd à porter par ici.
Que ton fils porte un nom slave et blond,
Car ici, chaque cheveu on recense
Car ici on sépare le bon grain de l'ivraie
D'après tes paupières et d'après ton prénom.
Ne saute pas. Que ton fils s'appelle Lech.
Ne saute pas, Ce n'est pas encore l'heure.
Ne saute pas. La nuit rit aux éclats,
Et ricanent les wagons sur la voie.
Un nuage humain passe sur le pays,
Grand nuage, et une larme pour toute pluie,
Petite pluie, rien qu'une larme, quelle sécheresse.
Et les rails dans le noir disparaissent.
C'est comme ça - fait la roue. Pas de clairière.
C'est comme ça - train de cris à travers bois.
C'est comme ça - dans la nuit, je l'entends.
C'est comme ça - le silence cogne le silence.
(1957) Fleuve d’Héraclite, traducteur Christophe Jezewski et Isabelle Macor-Filarska.
Certains comme de la poésie
Écrivez-le. Écrire. Avec de l'encre ordinaire
sur du papier ordinaire: ils n'ont reçu aucune nourriture,
ils sont tous morts de faim. « Tous. Combien ?
C'est une grande prairie. Combien d'herbe pour chacun d'eux ? »
Écrire : Je ne sais pas.
L’histoire compte ses squelettes en chiffres ronds.
Mille et un reste un millier,
comme si l’un n'avait jamais existé :
un embryon imaginaire, un berceau vide,
un abécédaire jamais lu,
l'air qui rit, qui pleure, qui pousse,
le vide dévale vers le jardin,
personne ne se place en ligne.
Nous sommes dans la prairie où cela s’est fait chair,
et la prairie est muette comme un faux témoignage.
Ensoleillé. Vert. À proximité, une forêt
avec du bois pour la mastication et de l'eau sous l'écorce -
chaque jour une complète ration de la vue
jusqu'à ce que vous soyez aveugle. Tout au-dessus, un oiseau -
l'ombre de ses ailes donnant la vie
elles ont gratté leurs lèvres. Leurs mâchoires ouvertes.
Les dents claquent contre les dents.
La nuit, la faucille de lune brillait dans le ciel
et récoltait le blé pour leur pain.
Des mains sont venues flotter à partir des icônes noircies,
dans leurs doigts des tasses vides.
Sur une pointe de fils de fer barbelés,
un homme tournait.
Ils ont chanté avec leurs bouches pleines de terre.
« Une belle chanson de la façon dont la guerre frappe droit
au cœur » . Écrire: quel silence.
« Oui. ».
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
La fin et le commencement
Après chaque guerre
quelqu'un doit faire le ménage.
L’ordre quel qu'il soit
ne se fera pas tout seul.
Quelqu'un doit repousser les gravats
sur les bords des routes
pour laisser passer
les voitures remplies de cadavres.
Quelqu'un doit s'embourber
dans la fange et la cendre,
les ressorts des canapés,
les échardes de verre,
et les chiffons sanglants.
Quelqu'un doit traîner une poutre
pour soutenir le mur,
quelqu'un doit vitrer la fenêtre
et raccrocher la porte sur ses charnières.
Ce n'est pas photogénique
et demande des années.
Toutes les caméras sont parties déjà
pour une autre guerre.
Il faut refaire les ponts
et les gares.
Les manches vont s'effilocher
à force d'être retroussées.
Quelqu'un, le balai à la main,
se souvient encore comment c'était.
Quelqu'un écoute
acquiesçant de sa tête non arrachée.
Mais déjà à côté d'eux
il y en aura
qui vont s'ennuyer.
Quelqu'un parfois encore
déterrera de dessous un buisson
des arguments rongés par la rouille
et les portera sur un tas d'ordures.
Ceux qui savaient
de quoi il s'agissait ici
doivent céder la place
à ceux qui en savent peu.
Et moins que peu.
Et enfin rien du tout.
Dans l'herbe qui a recouvert
les causes et les effets,
quelqu'un doit se coucher,
un épi entre les dents,
et bâiller aux corneilles
dans les nuages.
Dans le fleuve d’Héraclite, traduction de Christophe Jezewski, Maison de la Poésie Nord/Pas de Calais, 1995,
Sortie de cinéma
Des rêves miroitaient sur la toile blanche.
Deux heures passées sous l'écaille lunaire.
Il y eut l'amour sur un air nostalgique,
Il y eut l'heureux retour au terme de l'errance.
Le monde après ce conte est gris, brouillard.
Pas de rôles, pas d'intéressants visages.
Les regrets du maquis chantés par le soldat
Et la fille qui joue les regrets de son âge.
Je reviens à vous, au monde vrai,
Plein de hasards, grouillant, sombre -
À toi, le manchot tapi sous le porche
À toi, la fille aux yeux vains.
(1945) traduction Piotr Kaminski.
Je travaille sur le monde
Je travaille sur le monde,
dans une édition sans cesse révisée, improvisée,
sorte de figures emplies pour les fous,
blues pour des couvées,
peignes pour crânes chauves
des trucs pour de vieux chiens.
En voici le premier chapitre : Le discours
des animaux et des plantes.
Chaque discours provient, bien sûr,
de son propre dictionnaire.
Même un simple : « Salut toi »
quand il est échangé avec un poisson
Vous transporte vous et le poisson
dans un sentiment extraordinaire.
Le sens si longtemps suspect
de bruissements, de chips, de grognements !
Ah le soliloque des forêts !
les hurlements épiques des hiboux !
ces rusés hérissons écrivant
des aphorismes la nuit venue,
quand aveuglément nous croyons naïvement
qu’ils dorment dans le parc !
Le temps (chapitre deux) conserve
son droit sacré de tout mélanger dans toutes les affaires terrestres
et encore, le temps est pouvoir déchaîné
qui fait s’écrouler la montagne,
bouger la mer, tourner l’étoile.
Il ne suffira pas de déchirer l’un à l’autre les amants :
ils sont trop nus ; trop dans leurs baisers,
trop semblables aux moineaux timides.
Le vieil âge, est dans mon livre
le prix que doivent payer les traîtres,
aussi ne geignez pas quand tout dort :
vous demeurez jeune si vous êtes bien.
Souffrance (chapitre 3)
n’insulte pas le corps.
La Mort ? elle vient dans votre sommeil,
exactement comme il se doit.
Quand cela advient, vous serez en train de rêver
que vous n’avez plus besoin de respirer :
ce silence sans un souffle est
la musique de la nuit
Et fait partie du rythme
qui doit s’évanouir comme une étincelle.
Seulement une mort comme cela. Une rose
vous piquera plus fort, du moins je le crois ;
vous aviez ressenti plus de terreur au bruit
que firent les pétales en tombant sur le sol.
Seul un monde pareil à cela. Mourir
c'est beaucoup. Et vivre pareillement.
Tout le reste n’est qu’une fugue de Bach, jouée
pour le temps où nous sommes
sur une scie.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Retour à la maison
Il est revenu à la maison. Ne dit rien.
Il était évident, cependant, que quelque chose avait mal tourné.
Il se coucha tout habillé.
Tira la couverture sur sa tête.
La remonta jusqu’aux genoux.
Il avait presque quarante ans, mais pas en cet instant.
Il existe comme il le faisait dans le ventre de sa mère,
vêtu de sept murs de peau, protégé par l'obscurité.
Demain, il va donner une conférence
sur l'homéostasie dans tout l’univers des galaxies.
Pour l'instant, cependant, il est recroquevillé et endormi.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Un beau Miracle (extrait)
Un miracle, comment pourriez-vous le nommer autrement :
aujourd'hui, le soleils'est levé à quatorze heures trois
et restera ainsi jusqu’à huit heures une
Un miracle, moins surprenant que ce qu'il devrait être :
même si la main a moins de six doigts,
elle en a encore plus de quatre.
Un miracle, il suffit de jeter un coup d'œil autour :
le monde est partout.
Un miracle supplémentaire, car tout est supplémentaire :
l'impensable
est pensable.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Vietnam
Femme comment tu t’appelles ? – je ne sais pas
Où et quand es-tu née ? – je ne sais pas
Pourquoi as-tu creusé ce trou ? – je ne sais pas
Combien de temps tu t’es cachée ? – je ne sais pas
Pourquoi tu as mordu la main que je te tendais ? – je ne sais pas
Sais-tu que nous sommes là pour t’aider ? – je ne sais pas
De quel côté es-tu ? – je ne sais pas
Dans une guerre il faut être d’un côté ou de l’autre. – je ne sais pas
Est-ce que ton village existe encore ? – je ne sais pas
Ce sont tes enfants ? – Oui.
Traduit du polonais par Aaron de Najran
Tout Hasard
Cela a pu arriver.
Cela a dû arriver.
Cela est arrivé plus tôt. Plus tard.
Plus près. Plus loin.
Pas à toi.
Tu as survécu, car tu étais le premier.
Tu as survécu, car tu étais le dernier.
Car tu étais seul. Car il y avait des gens.
Car c'était à gauche. Car c'était à droite.
Car tombait la pluie. Car tombait l'ombre.
Car le temps était ensoleillé.
Par bonheur il y avait une forêt.
Par bonheur il n'y avait pas d'arbres.
Par bonheur un rail, un crochet, une poutre, un frein,
un chambranle, un tournant, un millimètre, une seconde.
Par bonheur le rasoir flottait sur l'eau.
Parce que, car, pourtant, malgré.
Que se serait-il passé si la main, le pied,
à un pas, un cheveu
du concours de circonstances.
Tu es encore là ? Sorti d'un instant encore entrouvert ?
Le filet n'avait qu'une maille et toi tu es passé au travers ?
Je ne puis assez m'étonner, me taire.
Écoute
comme ton cœur me bat vite.
traduction Christophe Jezewski
Conversation avec la pierre
Je frappe à la porte de la pierre
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je veux pénétrer dans ton intérieur,
y jeter un coup d'œil,
te respirer à fond.
- Va-t’en, dit la pierre
Je suis fermée à double tour.
Même brisée en mille morceaux
nous serons encore fermés.
Même broyés en poussière
nous ne laisserons entrer personne.
Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je viens par pure curiosité.
La vie en est l'unique occasion.
Je tiens à me promener dans ton palais,
avant de visiter la feuille et la goutte d'eau.
Je n'ai pas beaucoup de temps pour tout cela.
Ma mortalité devrait t'émouvoir.
- Je suis de pierre, dit la pierre.
Je suis bien obligée de garder mon sérieux.
Va-t’en, je n'ai pas de zygomatiques.
Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
On me dit qu'il y a en toi des salles grandes et vides,
jamais vues, aux beautés qui s'épanouissent en vain,
sourdes, où aucun pas ne retentit jamais.
Avoue maintenant que tu n'en sais pas davantage.
- Des salles grandes et vides, dit la pierre,
je veux bien, mais de place il n'y en a guère.
Belles, peut-être, mais hors d'atteinte
de tes six misérables sens.
Tu peux me connaître, mais m'éprouver jamais.
Toute mon apparence te regarde en face,
mais ce qui est intérieur te tourne à jamais le dos.
Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
je ne cherche pas en toi un refuge pour l'éternité.
Je ne suis pas malheureuse.
Je ne suis pas sans abri.
Le monde qui est le mien mérite qu'on y retourne.
Je te promets d'entrer et sortir les mains vides,
et pour preuve de ma présence véritable en ton sein
je n'avancerai que des paroles
auxquelles personne n'ajoutera foi.
- Tu n'entreras pas - dit la pierre.
Il te manque le sens du partage.
Aucun sens ne remplace le sens du partage.
Même la vue affûtée jusqu'à l'éblouissement
ne te serait d'aucun secours sans le partage.
Tu n'entres pas, tu n'as que le désir de ce sens,
que son germe, son image.
Je frappe à la porte de pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je ne puis attendre deux mille siècles
pour pénétrer sous ton toit.
- Si tu ne me crois pas, dit la pierre,
va voir la feuille, elle t'en dira de même.
ou la goutte d'eau qui le confirmera.
Tu peux même t'adresser à un cheveu de ta tête
Je sens monter en moi un grand éclat de rire,
un rire immense, que je ne sais pas rire.
Je frappe à la porte de pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
- Je n'ai pas de porte, dit la pierre.
Traducteur Piotr Kaminski
Tortures
Rien n'a changé.
Le corps reste sensible à la douleur,
il doit manger et respirer de l'air et dormir,
il a la peau fine et dessous le sang affleure,
un stock suffisant de dents et d’ongles,
ses os sont cassants, ses articulations sont extensibles.
Dans la torture tout cela est pris en compte.
Rien n'a changé.
Les corps frissonnent comme il frissonna
avant la fondation de Rome et après,
au XXe siècle, avant et après Jésus-Christ.
Les tortures sont comme elles étaient, c'est juste la terre qui est devenue plus petite,
et quoiqu'il arrive tout paraît juste de l'autre côté du mur.
Rien n'a changé.
C'est juste qu'il y a plus de gens,
en plus des anciennes fautes s'ajoutent des fautes nouvelles,
réelles, imaginaires, temporaires, et nulles
mais le hurlement avec laquelle le corps leur répond,
a été, est et sera toujours un hurlement d'innocence
selon l'échelle de temps respecté et mesuré. (1)
Rien n'a changé.
Peut-être seulement les mœurs, les cérémonies, les danses.
le mouvement des mains pour la protection de la tête est le même.
Les contorsions du corps, les secousses pour tenter de s'éloigner,
donner ses jambes, mais elles tombent, les genoux volent,
il devient bleu, agité comme la houle, il salive, et saigne.
Rien n'a changé.
Sauf pour le cours des frontières,
la ligne des forêts, les côtes, les déserts et les glaciers.
Au milieu de ces paysages l'âme se balade
disparaît, revient, se rapproche, s'éloigne,
étrangère à elle-même, insaisissable, à certains moments, à d'autres incertaine de sa propre existence,
tandis que le corps est et est et est
et n'a plus aucune place pour lui-même.
1986, Adaptation personnelle à partir de l’anglais
(1) autre version de la fin
Tout cela sous un ciel par nature incéleste
Oú se couche le soleil sans se coucher du tout,
Se cachant sans le faire derrière un nuage qui s'ignore,
Agité par le vent, sans raison que le souffle.
Une seconde qui passe.
Une autre seconde.
Une troisième seconde.
Mais il ne s'agit que de nos trois secondes.
Le temps passe tel un messager avec une nouvelle urgente.
Mais cette métaphore nous appartient en propre.
Personnage fictif, empressement factice,
Et nouvelle inhumaine.
Quatre heures du matin
Heure de la nuit au jour
Heure du flanc droit au gauche
Heure pour avant la trentaine.
Heure balayée sous le chant des coqs.
Heure où la terre semble nous chasser.
Heure où nous glace le souffle des étoiles éteintes.
Heure de qu'est-ce qui restera-bien-de-nous.
Heure vide,
sourde, aride.
Fond du fond de toutes les autres heures.
Personne n'est vraiment bien à quatre heures du matin.
Si les fourmis sont bien à quatre heures du matin
Bravo les fourmis. Mais que viennent vite cinq heures
Si tant est que nous devons survivre.
traduction Piotr Kaminski.
Métaphysique
C'est arrivé, c'est fini.
C'est arrivé, donc ce n’est plus.
toujours dans la séquence irréversible,
car c'est la règle de ce jeu perdu d’avance.
Une conclusion banale, même pas digne d’être écrite,
si ce n'est pour le fait indéniable,
le fait pour toujours et à jamais,
pour l'ensemble du cosmos, qui est et qui sera,
que quelque chose fut vraiment,
jusqu'à ce qu'elle passe,
le fait même
qu'aujourd'hui vous avez eu des boulettes de bacon frit.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais.
Vermeer
Tant que la femme du Rijksmuseum
peinte dans le silence et la concentration
jour après jour verse du lait
à partir de la cruche dans le bol,
le monde ne mérite pas
l'extrémité du monde.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Identification
Je suis content que vous soyez venu
Avez-vous entendu parler de l'accident d'avion ce jeudi ?
Car, c'est exactement pour cela
Qu’ils sont venus me chercher.
Soi-disant il était sur la liste des passagers.
Et alors, peut-être qu'il a changé d'avis.
Ils m'ont donné une pilule, pour m'empêcher de défaillir.
Puis ils m'ont montré quelqu'un, je ne sais pas qui.
Tout en noir, brûlé sauf une seule main.
Un lambeau de sa chemise, une montre, une bague de mariage.
Je suis vraiment en colère, car ce n'est certainement pas lui.
Il ne ferait pas cela pour moi, pour finir par ne ressembler qu’à cela.
Et ces chemises vous pouvez à peu près en voir dans tous les magasins
Et cette montre est juste une montre ordinaire.
Et ces noms sur sa bague de mariage
sont des noms communs en effet.
Je suis content que vous soyez venu. Asseyez-vous ici près de moi.
Il est vrai qu'il était censé être de retour ce jeudi.
Mais combien de jeudis sont encore présents dans l'année.
Je vais mettre la bouilloire pour une tasse de thé.
Je vais me laver les cheveux, et puis, qu'est-ce donc en fait,
Je vais essayer de me réveiller de tout cela.
Je suis content que vous soyez venu, car il faisait froid là-bas,
et il n'y a dans ce sac de couchage en caoutchouc,
qu’un homme malheureux.
Je vais mettre ce jeudi pour plus tard, je vais laver le thé,
Car ces noms communs sont les nôtres en effet –
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Ici
Je ne sais rien de nulle part d’ailleurs,
mais là sur terre il y a bien des choses.
ici nous fabriquons des chaises et ses tristesses ,
des ciseaux, de la tendresse, des transistors, des violons,
des tasses à thé, des barrages, des railleries.
Il doit se trouver ailleurs encore plus de choses,
mais pour quelques raisons laissées non dépeintes ici,
ils manquent de peintures,
de tubes de peinture, de plats typiques polonais, de mouchoirs pour les larmes.
Ici nous avons d’innombrables lieux pour le voisinage
vous pouvez prendre l’un pour un autre,
leur donner des noms d’animaux de compagnie,
les protéger du mal.
Il doit y avoir des lieux semblables partout ailleurs,
mais nul ne pense qu’ils soient beaux.
Comme nulle part ailleurs, ou presque nulle part ailleurs, vous donnez tout le tronc de votre corps ici bas,
bien équipé de tout le nécessaire,
en ajoutant pour faire bonne mesure pour le reste vos propres enfants.
Pas la peine de mentionner ni les bras, ni les membres, et la tête
stupéfaite.
L’ignorance travaille sans trêve ici,
tout est ici décompté, comparé, mesuré,
et de là on tire des origines et des conclusions.
Je sais, je sais ce que vous pensez,
rien ici ne peut durer,
car depuis et jusqu’à un temps immémorial les éléments règnent ici.
mais notez- les éléments se fatiguent vite
et parfois ils doivent prendre un très long repos
avant la prochaine fois.
Je sais, je sais ce que vous pensez,
guerres, guerres, guerres.
Mais même entre elles il y a parfois une pause.
Attention – les gens sont le mal.
avec l’aise - les gens sont bons
Avec attention nous produisons des terrains vagues
avec aise avec la sueur de nos fronts nous bâtissons des maisons
et rapidement nous les habitons.
La vie sur terre devient vite bon marché.
Par exemple pour un rêve vous ne payez même pas un sou.
Pour des illusions –seulement quand elles sont perdues.
Pour posséder un corps – seulement avec le corps.
Et comme si cela ne suffisait pas,
vous tournoyez sans avoir même pris un ticket dans le carrousel des planètes,
et avec cela, refusant de payer, dans le blizzard des galaxies,
au travers d’ères si étonnantes,
que rien ici sur terre ne peut ainsi trembler à temps.
Pour avoir un regard juste sur ceci :
la table est posée là où elle est posée,
sur la table le papier, placé exactement où il faut
à travers la fenêtre entrouverte juste une bouffée d’air,
et aucun craquement sinistre dans le mur,
et pourtant vous pourriez être dispersé dans le néant.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Un chat dans un appartement vide
Mourir. Il ne faut pas faire cela à un chat.
Que peut-il faire dans un appartement vide ?
Grimper aux murs ?
Se frotter contre les meubles ?
Apparemment rien n’a changé
et pourtant rien n’est pareil.
Rien n’a été déplacé
et pourtant rien n’est en place.
Et le soir, pas de lampe allumée.
Un bruit de pas dans l’escalier
mais ce n’est pas le bon.
Une main met le poisson dans l’assiette
mais ce n’est pas la bonne.
Quelque chose ne commence pas
à l’heure habituelle,
quelque chose ne se passe pas
comme cela devrait.
Quelqu’un était là depuis toujours
et soudain n’est plus
s’obstinant à rester disparu.
On a fureté dans les armoires
fouillé les étagères
on s’est faufilé sous le tapis pour vérifier.
On a même bravé l’interdit en allant au bureau
et en mettant les papiers en désordre
Que faire maintenant ?
Dormir et attendre.
Attendre qu’il revienne
s’il ose.
Et lui faire savoir qu’on ne fait pas ça à un chat.
On avancera vers lui
l’air détaché, un peu hautain
en faisant semblant de ne pas le voir.
On marchera très lentement
la patte boudeuse
et surtout, pas un bond, pas un ronron,
du moins au début.
Traduit du polonais par Aaron de Najran
Découverte
Je crois en une grande découverte.
Je crois en l'homme qui fera la découverte.
Je crois en l'effroi de l'homme qui fera la découverte.
Je crois en son visage livide,
en sa nausée, en la sueur sur sa lèvre.
Je crois en notes brûlées,
brûlées jusqu'aux cendres,
brûlées jusqu'à la dernière.
Je crois en la dispersion des chiffres,
leur dispersion sans regrets.
Je crois en la hâte de l'homme,
en la précision de ses gestes,
en son libre arbitre.
Je crois en la destruction des tables,
le déversement des liquides,
l'extinction du rayon.
J'affirme qu'on y parviendra,
qu'il ne sera pas trop tard,
et que la chose se fera sans témoins.
Personne n'en saura rien, j'en suis sûre,
ni la femme, ni le mur,
ni l'oiseau : sait-on jamais ce qu'il chante.
Je crois en la main suspendue,
je crois en la carrière brisée,
en des années de travail pour rien.
Je crois en un secret emporté dans la tombe.
Ces mots planent très haut au-dessus des formules.
Ne cherchent nul appui sur quelque exemple que ce soit.
Ma foi est forte, aveugle, et sans aucun fondement.
traduction Piotr Kaminski
De la mort sans exagérer
Sur la mort, sans exagérer
On ne peut faire une blague,
trouver une étoile, faire un pont.
Car elle ne sait rien sur le tissage, l'exploitation minière, l'agriculture,
La construction des navires, ou des gâteaux au four.
Dans notre planification pour demain,
Elle a toujours le dernier mot,
celui toujours à côté de la pointe.
Elle ne peut même pas bien faire les choses
qui font partie de son commerce:
creuser une fosse,
faire un cercueil,
tout nettoyer après.
Préoccupée de tueries,
Elle fait maladroitement le travail
sans méthode ou qualification.
Comme si chacun d'entre nous était sa toute première victime.
Oh, elle a ses triomphes,
mais regardez ses défaites innombrables,
ses coups ratés,
et ses tentatives de recommencer sans cesse!
Parfois, elle n'est pas assez forte
pour écraser une simple mouche.
Nombreuses sont les chenilles
qui l'ont obligé à ramper
Tous ses bulbes, ses gousses,
ses tentacules, ses nageoires, ses trachées,
son plumage nuptial, et l'hiver en fourrure
montrent que sans enthousiasme
elle a pris du retard à ses travaux
La mauvaise volonté ne va même pas l’aider
et même quand nous lui tendons la main avec les guerres et les coups d'État
cela ne suffit pas.
Les cœurs battent à l'intérieur des œufs.
Les squelettes de poupées grandissent.
Les graines, dures au travail, poussent leur paire de minuscules premières feuilles
et parfois même de grands arbres tombent
Quiconque prétend que cela vient du tout-puissant
est lui-même la preuve vivante
que cela n’est pas.
Il n'y a pas de vie
qui puisse être immortelle
si ce n'est que pour un court moment.
La Mort
arrive même toujours trop tard en ce moment.
En vain, elle tire sur le bouton
de la porte invisible.
Pour autant si vous êtes derrière
Cela ne peut pas être annulé.
1986
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/szymborska/szymborska.html
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2006/02/wislawa_szymbor.html
http://www.francopolis.net/francosemailles/trad-Szymborska-Aaron.html
http://www.beskid.com/szymborska2.html
http://bengricheahmed.over-blog.com/article-wislawa-szymborska-98679240.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Wis%C5%82awa_Szymborska
au ridicule de ne pas en écrire"
(Options) Les gens sur le pont - 1986
Photographie de la foule
Sur la photo de la foule
ma tête est septième à droite
ou alors quatrième à gauche,
ou alors vingtième en partant du bas;
ma tête je ne sais laquelle,
plus toute seule, plus unique
déjà pareille aux semblables
pas plus mâle que femelle
(...)
in Cas où 1972
Acrobate
D'un trapèze à
à l'autre trapèze, dans le silence après
après le tambour soudain silencieux, à travaers
à travers l'air encore surpris, plus rapide que
que le poids du corps qui, à nouveau,
à nouveau, n'a pas eu le temps de tomber.
Seul. Ou alors moins encore que seul,
moins parce qu'infirme, parce qu'à défaut
à défaut d'ailes, défaut énorme,
défaut qui le contraint
aux survolées honteuses sur son attention nue,
son attention déplumée.
Laborieusement léger,
patiemment agile,
fruit d'une inspiration très calculée. Regarde
comme il s'est embusqué avant l'envol, sais-tu
à quel point il conspire de la tête jusqu'aux pieds
contre celui qu'il est, sais-tu, vois-tu comme
il se faufile, rusé, à travers son image,
et, pour reprendre en mains le monde qui se balance,
il tend ses bras neufs, tout juste nés du corps -
plus beaux que tout maintenant, en cet unique instant,
instant qui, par ailleurs, n'est déjà que du passé.
in Cent blagues 1967
Quelle blague
Et pourquoi pas bonheur pendant qu'il y est ?
Pourquoi pas vérité?
Ou bien éternité?
Voyez-vous ça!
A peine a-t-il séparé le rêve du réel,
à peine a-t-il subodoré que lui c'est lui,
à peine a-t-il taillé d'une Main, née Nageoire,
uns pierre à feu, une fusée,
si facile à noyer dans un verre d'océan,
pas assez drôle pour faire rigoler le néant,
il ne voit que des yeux,
n'entend que des oreilles,
le mieux qu'il trouve à dire c'est du conditionnel,
il use de raison pour juger la raison,
bref, presque personne,
mais piqué d'omniscience, de liberté, et d'être
affranchi de cette viande idiote,
voyez-vous ça !
Car il existe sans doute,
il a eu lieu vraiment,
sous une de ces étoiles tant soit peu provinciales.
Vivace à sa manière, et pas mal remuant.
Pour un piteux marmot du cristal primitif -
sérieusement étonné.
Malgré l'enfance pénible sous le joug du troupeau
pas mal singulier déjà.
Voyez-vous ça!
Pourvu que cela dure, que cela dure un peu,
ne serait-ce qu'un clin d'oeil d'une modeste galaxie !
Qu'on puisse savoir enfin, en gros, ce qu'ilsera,
puisqu'il Est.
Et il Est - oh oui, tenace.
Tenace, il faut bien l'avouer, à l'extrême.
Cet anneau dans le nez, cette toge, ce pull-over.
Quelle blague, quoi qu'on en dise.
Pauv'bébé.
Homme tout craché.
in Cent blagues 1967
Poursuite
Je sais que le silence m'accueillera - et pourtant.
Ni cohue, ni fanfare, ni ovation - et pourtant.
Ni tocsin de terreur, ni terreur elle-même
(...)
in Cas où 1972
Amour heureux
Amour heureux. Est-ce normal,
est-ce sérieux, est-ce bien utile -
que peut tirer le monde de deux personnes
qui ne voient pas le monde?
(...)
in Cas où 1972
Cour des miracles
(...)
Miracle accessoire, comme tout est accessoire:
ce qui est impensable
se laisse penser.
in Les gens sur le pont - 1986
Comptes élégiaques
(...)
Combien auront sauté du temps en marche,
et s'éloignent désormais, de plus en plus poignants,
(si l'on peut se fier au jeu des perspectives) -
(...)
in Fin et début - 1993
Adieu à la vue
Je n'en veux pas au printemps
d'être venu à nouveau.
Je ne lui tiens pas rigueur
de remplir comme chaque année
ses obligations.
Je comprends que mon chagrin
n'arrêtera pas la verdure.
Et le brin d'herbe, s'il hésiteun instant,
c'est sur le souffle du vent
(...)
Une seule chose je refuse.
Revenir à tous ces endroits.
A ce privilège de présence -
je renonce par la présente.
Je t'ai tellement vécu,
et peut-être juste ce qu'il faut,
pour pouvoir y penser de loin
in Fin et début - 1993
Je ne sais quelles gens
Je ne sais quelles gens fuyant je ne sais quels autres.
Dans un je ne sais quel pays sous le soleil
et sous certains nuages
(...)
Foisonnement
Je suis qui je suis.
Hasard inconcevable
comme tout hasard
in Vue avec Grain de sable - 1996
in Je ne sais quelles gens
***********************************
Jamais deux fois
Jamais rien n’arrive deux fois,
jamais rien ne se reproduit,
nous sommes nés sans bon usage
et sans routine mourrons surpris.
Serions-nous cancres les plus sots
à l’école de l’univers,
jamais nous ne redoublerons
aucun été aucun hiver.
Pas un des jours ne se répète
pas une nuit pareille à l’autre,
ni deux baisers tout identiques,
ni deux regards de l’un à l’autre.
Hier quand j’entendis quelqu’un
dire ton nom à haute voix,
ce fut pour moi comme une rose
par la croisée tombant sur moi.
Aujourd’hui nous étions deux,
mais j’ai collé ma face au mur.
Rose? A quoi ressemble une rose?
Est-ce une fleur ou une pierre dure?
Et pourquoi donc, heure mauvaise,
à ces peurs vaines te mêles-tu?
Tu es là et dois passer,
ce sera beau de n’être plus.
Dans nos sourires enlacés,
nous cherchons une entente sûre,
malgré nos grandes différences
ainsi que deux gouttes d’eau pure.
***
https://schabrieres.wordpress.com/2011/04/15/wislawa-szymborska-jamais-deux-fois-1957/
Wisława Szymborska (née en 1923) – Appel à Yéti (1957)
Choix de textes d Esprits Nomades
Encore
Dans les wagons plombés
Des prénoms traversent la contrée,
Mais jusqu'où ils voyageront,
Si un jour ils en descendront,
Je n'en sais, je ne vous dirai rien.
Prénom Nathan cogne contre la cloison,
prénom Isaac hurle et chante sa folie,
prénom Sarah pour deux gouttes d'eau supplie,
puisque se meurt de soif le prénom Aaron.
Ne saute pas dans le vide, prénom David.
Ce prénom te flétrit pour la vie,
Ce prénom on ne le donne à personne,
C'est trop lourd à porter par ici.
Que ton fils porte un nom slave et blond,
Car ici, chaque cheveu on recense
Car ici on sépare le bon grain de l'ivraie
D'après tes paupières et d'après ton prénom.
Ne saute pas. Que ton fils s'appelle Lech.
Ne saute pas, Ce n'est pas encore l'heure.
Ne saute pas. La nuit rit aux éclats,
Et ricanent les wagons sur la voie.
Un nuage humain passe sur le pays,
Grand nuage, et une larme pour toute pluie,
Petite pluie, rien qu'une larme, quelle sécheresse.
Et les rails dans le noir disparaissent.
C'est comme ça - fait la roue. Pas de clairière.
C'est comme ça - train de cris à travers bois.
C'est comme ça - dans la nuit, je l'entends.
C'est comme ça - le silence cogne le silence.
(1957) Fleuve d’Héraclite, traducteur Christophe Jezewski et Isabelle Macor-Filarska.
Certains comme de la poésie
Écrivez-le. Écrire. Avec de l'encre ordinaire
sur du papier ordinaire: ils n'ont reçu aucune nourriture,
ils sont tous morts de faim. « Tous. Combien ?
C'est une grande prairie. Combien d'herbe pour chacun d'eux ? »
Écrire : Je ne sais pas.
L’histoire compte ses squelettes en chiffres ronds.
Mille et un reste un millier,
comme si l’un n'avait jamais existé :
un embryon imaginaire, un berceau vide,
un abécédaire jamais lu,
l'air qui rit, qui pleure, qui pousse,
le vide dévale vers le jardin,
personne ne se place en ligne.
Nous sommes dans la prairie où cela s’est fait chair,
et la prairie est muette comme un faux témoignage.
Ensoleillé. Vert. À proximité, une forêt
avec du bois pour la mastication et de l'eau sous l'écorce -
chaque jour une complète ration de la vue
jusqu'à ce que vous soyez aveugle. Tout au-dessus, un oiseau -
l'ombre de ses ailes donnant la vie
elles ont gratté leurs lèvres. Leurs mâchoires ouvertes.
Les dents claquent contre les dents.
La nuit, la faucille de lune brillait dans le ciel
et récoltait le blé pour leur pain.
Des mains sont venues flotter à partir des icônes noircies,
dans leurs doigts des tasses vides.
Sur une pointe de fils de fer barbelés,
un homme tournait.
Ils ont chanté avec leurs bouches pleines de terre.
« Une belle chanson de la façon dont la guerre frappe droit
au cœur » . Écrire: quel silence.
« Oui. ».
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
La fin et le commencement
Après chaque guerre
quelqu'un doit faire le ménage.
L’ordre quel qu'il soit
ne se fera pas tout seul.
Quelqu'un doit repousser les gravats
sur les bords des routes
pour laisser passer
les voitures remplies de cadavres.
Quelqu'un doit s'embourber
dans la fange et la cendre,
les ressorts des canapés,
les échardes de verre,
et les chiffons sanglants.
Quelqu'un doit traîner une poutre
pour soutenir le mur,
quelqu'un doit vitrer la fenêtre
et raccrocher la porte sur ses charnières.
Ce n'est pas photogénique
et demande des années.
Toutes les caméras sont parties déjà
pour une autre guerre.
Il faut refaire les ponts
et les gares.
Les manches vont s'effilocher
à force d'être retroussées.
Quelqu'un, le balai à la main,
se souvient encore comment c'était.
Quelqu'un écoute
acquiesçant de sa tête non arrachée.
Mais déjà à côté d'eux
il y en aura
qui vont s'ennuyer.
Quelqu'un parfois encore
déterrera de dessous un buisson
des arguments rongés par la rouille
et les portera sur un tas d'ordures.
Ceux qui savaient
de quoi il s'agissait ici
doivent céder la place
à ceux qui en savent peu.
Et moins que peu.
Et enfin rien du tout.
Dans l'herbe qui a recouvert
les causes et les effets,
quelqu'un doit se coucher,
un épi entre les dents,
et bâiller aux corneilles
dans les nuages.
Dans le fleuve d’Héraclite, traduction de Christophe Jezewski, Maison de la Poésie Nord/Pas de Calais, 1995,
Sortie de cinéma
Des rêves miroitaient sur la toile blanche.
Deux heures passées sous l'écaille lunaire.
Il y eut l'amour sur un air nostalgique,
Il y eut l'heureux retour au terme de l'errance.
Le monde après ce conte est gris, brouillard.
Pas de rôles, pas d'intéressants visages.
Les regrets du maquis chantés par le soldat
Et la fille qui joue les regrets de son âge.
Je reviens à vous, au monde vrai,
Plein de hasards, grouillant, sombre -
À toi, le manchot tapi sous le porche
À toi, la fille aux yeux vains.
(1945) traduction Piotr Kaminski.
Je travaille sur le monde
Je travaille sur le monde,
dans une édition sans cesse révisée, improvisée,
sorte de figures emplies pour les fous,
blues pour des couvées,
peignes pour crânes chauves
des trucs pour de vieux chiens.
En voici le premier chapitre : Le discours
des animaux et des plantes.
Chaque discours provient, bien sûr,
de son propre dictionnaire.
Même un simple : « Salut toi »
quand il est échangé avec un poisson
Vous transporte vous et le poisson
dans un sentiment extraordinaire.
Le sens si longtemps suspect
de bruissements, de chips, de grognements !
Ah le soliloque des forêts !
les hurlements épiques des hiboux !
ces rusés hérissons écrivant
des aphorismes la nuit venue,
quand aveuglément nous croyons naïvement
qu’ils dorment dans le parc !
Le temps (chapitre deux) conserve
son droit sacré de tout mélanger dans toutes les affaires terrestres
et encore, le temps est pouvoir déchaîné
qui fait s’écrouler la montagne,
bouger la mer, tourner l’étoile.
Il ne suffira pas de déchirer l’un à l’autre les amants :
ils sont trop nus ; trop dans leurs baisers,
trop semblables aux moineaux timides.
Le vieil âge, est dans mon livre
le prix que doivent payer les traîtres,
aussi ne geignez pas quand tout dort :
vous demeurez jeune si vous êtes bien.
Souffrance (chapitre 3)
n’insulte pas le corps.
La Mort ? elle vient dans votre sommeil,
exactement comme il se doit.
Quand cela advient, vous serez en train de rêver
que vous n’avez plus besoin de respirer :
ce silence sans un souffle est
la musique de la nuit
Et fait partie du rythme
qui doit s’évanouir comme une étincelle.
Seulement une mort comme cela. Une rose
vous piquera plus fort, du moins je le crois ;
vous aviez ressenti plus de terreur au bruit
que firent les pétales en tombant sur le sol.
Seul un monde pareil à cela. Mourir
c'est beaucoup. Et vivre pareillement.
Tout le reste n’est qu’une fugue de Bach, jouée
pour le temps où nous sommes
sur une scie.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Retour à la maison
Il est revenu à la maison. Ne dit rien.
Il était évident, cependant, que quelque chose avait mal tourné.
Il se coucha tout habillé.
Tira la couverture sur sa tête.
La remonta jusqu’aux genoux.
Il avait presque quarante ans, mais pas en cet instant.
Il existe comme il le faisait dans le ventre de sa mère,
vêtu de sept murs de peau, protégé par l'obscurité.
Demain, il va donner une conférence
sur l'homéostasie dans tout l’univers des galaxies.
Pour l'instant, cependant, il est recroquevillé et endormi.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Un beau Miracle (extrait)
Un miracle, comment pourriez-vous le nommer autrement :
aujourd'hui, le soleils'est levé à quatorze heures trois
et restera ainsi jusqu’à huit heures une
Un miracle, moins surprenant que ce qu'il devrait être :
même si la main a moins de six doigts,
elle en a encore plus de quatre.
Un miracle, il suffit de jeter un coup d'œil autour :
le monde est partout.
Un miracle supplémentaire, car tout est supplémentaire :
l'impensable
est pensable.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Vietnam
Femme comment tu t’appelles ? – je ne sais pas
Où et quand es-tu née ? – je ne sais pas
Pourquoi as-tu creusé ce trou ? – je ne sais pas
Combien de temps tu t’es cachée ? – je ne sais pas
Pourquoi tu as mordu la main que je te tendais ? – je ne sais pas
Sais-tu que nous sommes là pour t’aider ? – je ne sais pas
De quel côté es-tu ? – je ne sais pas
Dans une guerre il faut être d’un côté ou de l’autre. – je ne sais pas
Est-ce que ton village existe encore ? – je ne sais pas
Ce sont tes enfants ? – Oui.
Traduit du polonais par Aaron de Najran
Tout Hasard
Cela a pu arriver.
Cela a dû arriver.
Cela est arrivé plus tôt. Plus tard.
Plus près. Plus loin.
Pas à toi.
Tu as survécu, car tu étais le premier.
Tu as survécu, car tu étais le dernier.
Car tu étais seul. Car il y avait des gens.
Car c'était à gauche. Car c'était à droite.
Car tombait la pluie. Car tombait l'ombre.
Car le temps était ensoleillé.
Par bonheur il y avait une forêt.
Par bonheur il n'y avait pas d'arbres.
Par bonheur un rail, un crochet, une poutre, un frein,
un chambranle, un tournant, un millimètre, une seconde.
Par bonheur le rasoir flottait sur l'eau.
Parce que, car, pourtant, malgré.
Que se serait-il passé si la main, le pied,
à un pas, un cheveu
du concours de circonstances.
Tu es encore là ? Sorti d'un instant encore entrouvert ?
Le filet n'avait qu'une maille et toi tu es passé au travers ?
Je ne puis assez m'étonner, me taire.
Écoute
comme ton cœur me bat vite.
traduction Christophe Jezewski
Conversation avec la pierre
Je frappe à la porte de la pierre
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je veux pénétrer dans ton intérieur,
y jeter un coup d'œil,
te respirer à fond.
- Va-t’en, dit la pierre
Je suis fermée à double tour.
Même brisée en mille morceaux
nous serons encore fermés.
Même broyés en poussière
nous ne laisserons entrer personne.
Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je viens par pure curiosité.
La vie en est l'unique occasion.
Je tiens à me promener dans ton palais,
avant de visiter la feuille et la goutte d'eau.
Je n'ai pas beaucoup de temps pour tout cela.
Ma mortalité devrait t'émouvoir.
- Je suis de pierre, dit la pierre.
Je suis bien obligée de garder mon sérieux.
Va-t’en, je n'ai pas de zygomatiques.
Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
On me dit qu'il y a en toi des salles grandes et vides,
jamais vues, aux beautés qui s'épanouissent en vain,
sourdes, où aucun pas ne retentit jamais.
Avoue maintenant que tu n'en sais pas davantage.
- Des salles grandes et vides, dit la pierre,
je veux bien, mais de place il n'y en a guère.
Belles, peut-être, mais hors d'atteinte
de tes six misérables sens.
Tu peux me connaître, mais m'éprouver jamais.
Toute mon apparence te regarde en face,
mais ce qui est intérieur te tourne à jamais le dos.
Je frappe à la porte de la pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
je ne cherche pas en toi un refuge pour l'éternité.
Je ne suis pas malheureuse.
Je ne suis pas sans abri.
Le monde qui est le mien mérite qu'on y retourne.
Je te promets d'entrer et sortir les mains vides,
et pour preuve de ma présence véritable en ton sein
je n'avancerai que des paroles
auxquelles personne n'ajoutera foi.
- Tu n'entreras pas - dit la pierre.
Il te manque le sens du partage.
Aucun sens ne remplace le sens du partage.
Même la vue affûtée jusqu'à l'éblouissement
ne te serait d'aucun secours sans le partage.
Tu n'entres pas, tu n'as que le désir de ce sens,
que son germe, son image.
Je frappe à la porte de pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je ne puis attendre deux mille siècles
pour pénétrer sous ton toit.
- Si tu ne me crois pas, dit la pierre,
va voir la feuille, elle t'en dira de même.
ou la goutte d'eau qui le confirmera.
Tu peux même t'adresser à un cheveu de ta tête
Je sens monter en moi un grand éclat de rire,
un rire immense, que je ne sais pas rire.
Je frappe à la porte de pierre.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
- Je n'ai pas de porte, dit la pierre.
Traducteur Piotr Kaminski
Tortures
Rien n'a changé.
Le corps reste sensible à la douleur,
il doit manger et respirer de l'air et dormir,
il a la peau fine et dessous le sang affleure,
un stock suffisant de dents et d’ongles,
ses os sont cassants, ses articulations sont extensibles.
Dans la torture tout cela est pris en compte.
Rien n'a changé.
Les corps frissonnent comme il frissonna
avant la fondation de Rome et après,
au XXe siècle, avant et après Jésus-Christ.
Les tortures sont comme elles étaient, c'est juste la terre qui est devenue plus petite,
et quoiqu'il arrive tout paraît juste de l'autre côté du mur.
Rien n'a changé.
C'est juste qu'il y a plus de gens,
en plus des anciennes fautes s'ajoutent des fautes nouvelles,
réelles, imaginaires, temporaires, et nulles
mais le hurlement avec laquelle le corps leur répond,
a été, est et sera toujours un hurlement d'innocence
selon l'échelle de temps respecté et mesuré. (1)
Rien n'a changé.
Peut-être seulement les mœurs, les cérémonies, les danses.
le mouvement des mains pour la protection de la tête est le même.
Les contorsions du corps, les secousses pour tenter de s'éloigner,
donner ses jambes, mais elles tombent, les genoux volent,
il devient bleu, agité comme la houle, il salive, et saigne.
Rien n'a changé.
Sauf pour le cours des frontières,
la ligne des forêts, les côtes, les déserts et les glaciers.
Au milieu de ces paysages l'âme se balade
disparaît, revient, se rapproche, s'éloigne,
étrangère à elle-même, insaisissable, à certains moments, à d'autres incertaine de sa propre existence,
tandis que le corps est et est et est
et n'a plus aucune place pour lui-même.
1986, Adaptation personnelle à partir de l’anglais
(1) autre version de la fin
Tout cela sous un ciel par nature incéleste
Oú se couche le soleil sans se coucher du tout,
Se cachant sans le faire derrière un nuage qui s'ignore,
Agité par le vent, sans raison que le souffle.
Une seconde qui passe.
Une autre seconde.
Une troisième seconde.
Mais il ne s'agit que de nos trois secondes.
Le temps passe tel un messager avec une nouvelle urgente.
Mais cette métaphore nous appartient en propre.
Personnage fictif, empressement factice,
Et nouvelle inhumaine.
Quatre heures du matin
Heure de la nuit au jour
Heure du flanc droit au gauche
Heure pour avant la trentaine.
Heure balayée sous le chant des coqs.
Heure où la terre semble nous chasser.
Heure où nous glace le souffle des étoiles éteintes.
Heure de qu'est-ce qui restera-bien-de-nous.
Heure vide,
sourde, aride.
Fond du fond de toutes les autres heures.
Personne n'est vraiment bien à quatre heures du matin.
Si les fourmis sont bien à quatre heures du matin
Bravo les fourmis. Mais que viennent vite cinq heures
Si tant est que nous devons survivre.
traduction Piotr Kaminski.
Métaphysique
C'est arrivé, c'est fini.
C'est arrivé, donc ce n’est plus.
toujours dans la séquence irréversible,
car c'est la règle de ce jeu perdu d’avance.
Une conclusion banale, même pas digne d’être écrite,
si ce n'est pour le fait indéniable,
le fait pour toujours et à jamais,
pour l'ensemble du cosmos, qui est et qui sera,
que quelque chose fut vraiment,
jusqu'à ce qu'elle passe,
le fait même
qu'aujourd'hui vous avez eu des boulettes de bacon frit.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais.
Vermeer
Tant que la femme du Rijksmuseum
peinte dans le silence et la concentration
jour après jour verse du lait
à partir de la cruche dans le bol,
le monde ne mérite pas
l'extrémité du monde.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Identification
Je suis content que vous soyez venu
Avez-vous entendu parler de l'accident d'avion ce jeudi ?
Car, c'est exactement pour cela
Qu’ils sont venus me chercher.
Soi-disant il était sur la liste des passagers.
Et alors, peut-être qu'il a changé d'avis.
Ils m'ont donné une pilule, pour m'empêcher de défaillir.
Puis ils m'ont montré quelqu'un, je ne sais pas qui.
Tout en noir, brûlé sauf une seule main.
Un lambeau de sa chemise, une montre, une bague de mariage.
Je suis vraiment en colère, car ce n'est certainement pas lui.
Il ne ferait pas cela pour moi, pour finir par ne ressembler qu’à cela.
Et ces chemises vous pouvez à peu près en voir dans tous les magasins
Et cette montre est juste une montre ordinaire.
Et ces noms sur sa bague de mariage
sont des noms communs en effet.
Je suis content que vous soyez venu. Asseyez-vous ici près de moi.
Il est vrai qu'il était censé être de retour ce jeudi.
Mais combien de jeudis sont encore présents dans l'année.
Je vais mettre la bouilloire pour une tasse de thé.
Je vais me laver les cheveux, et puis, qu'est-ce donc en fait,
Je vais essayer de me réveiller de tout cela.
Je suis content que vous soyez venu, car il faisait froid là-bas,
et il n'y a dans ce sac de couchage en caoutchouc,
qu’un homme malheureux.
Je vais mettre ce jeudi pour plus tard, je vais laver le thé,
Car ces noms communs sont les nôtres en effet –
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Ici
Je ne sais rien de nulle part d’ailleurs,
mais là sur terre il y a bien des choses.
ici nous fabriquons des chaises et ses tristesses ,
des ciseaux, de la tendresse, des transistors, des violons,
des tasses à thé, des barrages, des railleries.
Il doit se trouver ailleurs encore plus de choses,
mais pour quelques raisons laissées non dépeintes ici,
ils manquent de peintures,
de tubes de peinture, de plats typiques polonais, de mouchoirs pour les larmes.
Ici nous avons d’innombrables lieux pour le voisinage
vous pouvez prendre l’un pour un autre,
leur donner des noms d’animaux de compagnie,
les protéger du mal.
Il doit y avoir des lieux semblables partout ailleurs,
mais nul ne pense qu’ils soient beaux.
Comme nulle part ailleurs, ou presque nulle part ailleurs, vous donnez tout le tronc de votre corps ici bas,
bien équipé de tout le nécessaire,
en ajoutant pour faire bonne mesure pour le reste vos propres enfants.
Pas la peine de mentionner ni les bras, ni les membres, et la tête
stupéfaite.
L’ignorance travaille sans trêve ici,
tout est ici décompté, comparé, mesuré,
et de là on tire des origines et des conclusions.
Je sais, je sais ce que vous pensez,
rien ici ne peut durer,
car depuis et jusqu’à un temps immémorial les éléments règnent ici.
mais notez- les éléments se fatiguent vite
et parfois ils doivent prendre un très long repos
avant la prochaine fois.
Je sais, je sais ce que vous pensez,
guerres, guerres, guerres.
Mais même entre elles il y a parfois une pause.
Attention – les gens sont le mal.
avec l’aise - les gens sont bons
Avec attention nous produisons des terrains vagues
avec aise avec la sueur de nos fronts nous bâtissons des maisons
et rapidement nous les habitons.
La vie sur terre devient vite bon marché.
Par exemple pour un rêve vous ne payez même pas un sou.
Pour des illusions –seulement quand elles sont perdues.
Pour posséder un corps – seulement avec le corps.
Et comme si cela ne suffisait pas,
vous tournoyez sans avoir même pris un ticket dans le carrousel des planètes,
et avec cela, refusant de payer, dans le blizzard des galaxies,
au travers d’ères si étonnantes,
que rien ici sur terre ne peut ainsi trembler à temps.
Pour avoir un regard juste sur ceci :
la table est posée là où elle est posée,
sur la table le papier, placé exactement où il faut
à travers la fenêtre entrouverte juste une bouffée d’air,
et aucun craquement sinistre dans le mur,
et pourtant vous pourriez être dispersé dans le néant.
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
Un chat dans un appartement vide
Mourir. Il ne faut pas faire cela à un chat.
Que peut-il faire dans un appartement vide ?
Grimper aux murs ?
Se frotter contre les meubles ?
Apparemment rien n’a changé
et pourtant rien n’est pareil.
Rien n’a été déplacé
et pourtant rien n’est en place.
Et le soir, pas de lampe allumée.
Un bruit de pas dans l’escalier
mais ce n’est pas le bon.
Une main met le poisson dans l’assiette
mais ce n’est pas la bonne.
Quelque chose ne commence pas
à l’heure habituelle,
quelque chose ne se passe pas
comme cela devrait.
Quelqu’un était là depuis toujours
et soudain n’est plus
s’obstinant à rester disparu.
On a fureté dans les armoires
fouillé les étagères
on s’est faufilé sous le tapis pour vérifier.
On a même bravé l’interdit en allant au bureau
et en mettant les papiers en désordre
Que faire maintenant ?
Dormir et attendre.
Attendre qu’il revienne
s’il ose.
Et lui faire savoir qu’on ne fait pas ça à un chat.
On avancera vers lui
l’air détaché, un peu hautain
en faisant semblant de ne pas le voir.
On marchera très lentement
la patte boudeuse
et surtout, pas un bond, pas un ronron,
du moins au début.
Traduit du polonais par Aaron de Najran
Découverte
Je crois en une grande découverte.
Je crois en l'homme qui fera la découverte.
Je crois en l'effroi de l'homme qui fera la découverte.
Je crois en son visage livide,
en sa nausée, en la sueur sur sa lèvre.
Je crois en notes brûlées,
brûlées jusqu'aux cendres,
brûlées jusqu'à la dernière.
Je crois en la dispersion des chiffres,
leur dispersion sans regrets.
Je crois en la hâte de l'homme,
en la précision de ses gestes,
en son libre arbitre.
Je crois en la destruction des tables,
le déversement des liquides,
l'extinction du rayon.
J'affirme qu'on y parviendra,
qu'il ne sera pas trop tard,
et que la chose se fera sans témoins.
Personne n'en saura rien, j'en suis sûre,
ni la femme, ni le mur,
ni l'oiseau : sait-on jamais ce qu'il chante.
Je crois en la main suspendue,
je crois en la carrière brisée,
en des années de travail pour rien.
Je crois en un secret emporté dans la tombe.
Ces mots planent très haut au-dessus des formules.
Ne cherchent nul appui sur quelque exemple que ce soit.
Ma foi est forte, aveugle, et sans aucun fondement.
traduction Piotr Kaminski
De la mort sans exagérer
Sur la mort, sans exagérer
On ne peut faire une blague,
trouver une étoile, faire un pont.
Car elle ne sait rien sur le tissage, l'exploitation minière, l'agriculture,
La construction des navires, ou des gâteaux au four.
Dans notre planification pour demain,
Elle a toujours le dernier mot,
celui toujours à côté de la pointe.
Elle ne peut même pas bien faire les choses
qui font partie de son commerce:
creuser une fosse,
faire un cercueil,
tout nettoyer après.
Préoccupée de tueries,
Elle fait maladroitement le travail
sans méthode ou qualification.
Comme si chacun d'entre nous était sa toute première victime.
Oh, elle a ses triomphes,
mais regardez ses défaites innombrables,
ses coups ratés,
et ses tentatives de recommencer sans cesse!
Parfois, elle n'est pas assez forte
pour écraser une simple mouche.
Nombreuses sont les chenilles
qui l'ont obligé à ramper
Tous ses bulbes, ses gousses,
ses tentacules, ses nageoires, ses trachées,
son plumage nuptial, et l'hiver en fourrure
montrent que sans enthousiasme
elle a pris du retard à ses travaux
La mauvaise volonté ne va même pas l’aider
et même quand nous lui tendons la main avec les guerres et les coups d'État
cela ne suffit pas.
Les cœurs battent à l'intérieur des œufs.
Les squelettes de poupées grandissent.
Les graines, dures au travail, poussent leur paire de minuscules premières feuilles
et parfois même de grands arbres tombent
Quiconque prétend que cela vient du tout-puissant
est lui-même la preuve vivante
que cela n’est pas.
Il n'y a pas de vie
qui puisse être immortelle
si ce n'est que pour un court moment.
La Mort
arrive même toujours trop tard en ce moment.
En vain, elle tire sur le bouton
de la porte invisible.
Pour autant si vous êtes derrière
Cela ne peut pas être annulé.
1986
Adaptation personnelle à partir de l’anglais
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/szymborska/szymborska.html
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2006/02/wislawa_szymbor.html
http://www.francopolis.net/francosemailles/trad-Szymborska-Aaron.html
http://www.beskid.com/szymborska2.html
http://bengricheahmed.over-blog.com/article-wislawa-szymborska-98679240.html
http://les-amours-de-livres-de-falbalapat.over-blog.com/article-conversation-avec-la-pierre-de-wislawa-szymborska-98456917.html
http://sylvestre-rossi.blogs.nouvelobs.com/archive/2014/07/16/un-poeme-de-wislawa-szymborska-537180.html
A mon cœur un dimanche
http://www.babelmatrix.org/works/pl/Szymborska,_Wis%C5%82awa-1923/Kot_w_pustym_mieszkaniu/fr/4785-UN_CHAT_DANS_UN_APPARTEMENT_VIDE
Un chat dans un appartement vide
http://slavica.revues.org/136
http://www.crcrosnier.fr/articles/szymborska-nobel.htm
http://www.recoursaupoeme.fr/essais/sur-la-disparition-de-wislawa-szymborska-ou-l%E2%80%99%C3%AAtre-po%C3%A8me/antoine-de-molesmes
http://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/wislawa-szymborska
http://www.france24.com/fr/20120201-poetesse-polonaise-wislawa-szymborska-meurt-88-ans-nobel-literrature-pologne/
http://ex-libris.over-blog.com/article-entre-ravissement-et-desespoir-se-souvenir-de-wislawa-szymborska-98592352.html
http://www.poesie.net/szymb2.htm
http://fr.wikiquote.org/wiki/Wis%C5%82awa_Szymborska
http://sylvestre-rossi.blogs.nouvelobs.com/archive/2014/07/16/un-poeme-de-wislawa-szymborska-537180.html
A mon cœur un dimanche
http://www.babelmatrix.org/works/pl/Szymborska,_Wis%C5%82awa-1923/Kot_w_pustym_mieszkaniu/fr/4785-UN_CHAT_DANS_UN_APPARTEMENT_VIDE
Un chat dans un appartement vide
http://slavica.revues.org/136
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http://fr.wikiquote.org/wiki/Wis%C5%82awa_Szymborska
http://fr.wikipedia.org/wiki/Wis%C5%82awa_Szymborska
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