Xavier Grall 1930 - 1981 - Gueule de Breton
http://www.bretagne.fr/internet/upload/docs/application/pdf/2011-12/xavier_grall.pdf
Hommage 1981/2001
http://www.istorhabreiz.fr/spip.php?article42
Solo
http://yannarbraz.over-blog.com/article-19708871.html
Nous te ferons Bretagne
http://www.babelio.com/auteur/Xavier-Grall/31794/citations
http://fracasdumonde.blogspot.fr/?q=GRALL
http://eireann561.canalblog.com/archives/2011/12/27/23057034.html
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/gueule-de-breton-43267
http://histoires_courtes.voila.net/articles/grall.htm
Gueule de breton
Xavier Grall, né le 22 juin 1930 à Landivisiau (Finistère) et mort le 11 décembre 1981 à Quimperlé (Finistère), est un poète, écrivain et journaliste breton.
Comme Mahmoud Darwich a incarné la Palestine, Xavier Grall a incarné la Bretagne. Comme Darwich, il a exalté sa terre jusqu’à la rendre mythique. Comme lui, il a affirmé avec force son identité minoritaire. Vivant, Xavier Grall était un génie. Mort, il est devenu une légende. Aujourd’hui, en Bretagne, il est difficile de l’évoquer sans céder à la fascination pour le barde immense qu’il fut et le souffle prodigieux qu’il a mis dans son oeuvre.
Dans le cadre du Festival interceltique de Lorient, l’Oratorio pour Xavier Grall rendait hommage pour la deuxième année consécutive à Xavier Grall, écrivain, poète et journaliste. Les textes de Grall sont d’une telle puissance qu’ils suscitent dans le public une émotion palpable qui "remue les tripes" des spectateurs. Xavier Grall, poète de grande renommée en Bretagne, fut l’homme d’une quête, le Don Quichote celte à la recherche de son inaccessible étoile, celle d’une Bretagne à la fois rénovée et mythique.La quête de Grall commence quand il a 40 ans : il se découvre breton. Bien sûr, il est breton puisque né à Landivisiau dans le Finistère. Mais, après ses études de journalisme à Paris, il restera vivre dans la capitale loin de ses racines.
Grall journaliste :
Il devient un journaliste reconnu, secrétaire général de la "Vie Catholique" en 1961, il collabore notamment au journal "Le Monde" en 1977 et à l’hebdomadaire "La Vie". Il consacre des livres à Mauriac, Bernanos, James Dean ou Arthur Rimbaud. Il est aussi un redoutable pamphlétaire. Les colères de Grall furent aussi célèbres que furent sincères et indéfectibles ses élans fraternels envers l’humanité souffrante.
Le retour au pays :
Vers l’âge de 40 ans, il prend subitement conscience d’une identité qu’il avait enfouie. Il décide de son retour au pays natal. En 1973, il s’installe avec sa famille à Pont Aven. Il doit renoncer au confort de sa vie parisienne. C’est sa seconde naissance. "Et c’est alors que je me suis re-bretonisé, dans le plaisir et dans les larmes car, enfant j’avais reçu une éducation française".
"Tu te découvres Breton comme il n’est pas permis de l’être. (...) Et tu penses que ton pays ça existe, bon Dieu, terriblement. Tu te récupères. Tu te regardes en face. Tu te décolonises. Tu es Berbère, Kabyle, Breton." Grall se souvient qu’il a fait la Guerre d’Algérie et que cette épisode de sa vie l’a conduit peu à peu à se détacher de la belle idée qu’il avait de son pays.
On retrouve aussi dans ces mots le pourfendeur de la bête raciste et le combattant de l’anti-colonialisme qu’était Xavier Grall. Défenseur de la diversité culturelle, il fut un temps l’élève de Léopold Sedar Senghor.
Xavier Grall a coupé les ponts avec la vie parisienne et s’est amarré pour toujours à la Bretagne. Son poème "Allez dire à la ville" témoigne de cet ancrage et de ce non retour :
"Allez dire à la ville.
Terre dure de dunes et de pluies
c’est ici que je loge
cherchez, vous ne me trouverez pas
c’est ici, c’est ici que les lézards
réinventent les menhirs
c’est ici que je m’invente
j’ai l’âge des légendes
j’ai deux mille ans
Terre dure de dunes et de pluies
c’est ici que je loge
cherchez, vous ne me trouverez pas
c’est ici, c’est ici que les lézards
réinventent les menhirs
c’est ici que je m’invente
j’ai l’âge des légendes
j’ai deux mille ans
... Allez dire à la ville que je ne reviendrai pas."
C’est le divorce avec la France et l’affirmation de la celtitude :
"Latins, vous m’avez crevé les yeux !
Je suis Celte. Je suis Breton.
Je suis le barde condamné.
Ma démence fait ma force.
Parfois, au fond de l’ivresse, flamboie la voyance".
Ferveur militante :
Mais c’est aussi la déception : sa Terre promise, son Amérique, ne ressemble pas à la Bretagne qu’il avait rêvée de Paris.
"Mais enfin, ce rapatriement si ardemment désiré, voici que je le réalisais et que les pluies mortelles se jetaient à ma face, que je trouvais un peuple affaissé, sans rêve et sans projet, voici que la Bretagne se résignait à suivre ses maîtres sans trop rechigner".
Il se mettra alors en tête de rêver sa Bretagne mythique pour lui donner corps et vie dans son oeuvre poétique. Commencera aussi alors, avec le chanteur Glenmor, une vie de militant fervent pour la promotion de l’identité bretonne, la régénérescence de la nation bretonne. Il entre en guerre contre les "embaumeurs de cadavres" qui se tournent exclusivement vers les gloires du passé. Il publie "Le Cheval couché" pour dénoncer le "folklorisme fossilisant" du Cheval d’orgueil de Per Jakez Hélias.
Pour Grall, il faut rêver la Bretagne avant de la faire. L’action poétique précède l’action politique. Il faut en quelque sorte marcher devant soi : "Ici plus que partout ailleurs, le poète précède le tribun. Il n’est de libertés réelles, établies, qui n’aient d’abord été imaginées. L’esprit sur la route marche devant les peuples".
Ferveur catholique :
Au seuil de la mort, Xavier Grall compose un poème d’un lyrisme époustouflant, un appel à Dieu d’un talent prodigieux "SOLO" publié chez Calligrammes (Quimper) devenu la maison d’édition "Les vents m’ont dit" :
(extrait)
"Seigneur me voici c’est moi
je viens de petite Bretagne
mon havresac est lourd de rimes
de chagrins et de larmes
j’ai marché
Jusqu’à votre grand pays
ce fut ma foi un long voyage
trouvère
j’ai marché par les villes
et les bourgades
François Villon
dormait dans une auberge
à Montfaucon
dans les Ardennes des corbeaux
et des hêtres
Rimbaud interpellait les écluses
les canaux et les fleuves
Verlaine pleurait comme une veuve
dans un bistrot de Lorraine
Seigneur me voici c’est moi
de Bretagne suis..."
La lecture de ce long poème déclenche immédiatement des sentiments puissants, plus encore quand elle se fait en récital, à haute voix. Des passages de ce texte résonnent pour toujours dans le coeur de ceux qui le découvrent pour la première fois.
Xavier Grall fascine encore aujourd’hui, non seulement pour ses poèmes de toute beauté, mais aussi pour avoir été le porte-drapeau d’une Bretagne renaissante, pour ses engagements politiques également, et enfin pour sa "gueule de breton", une gueule de barde décharnée à la fin de sa vie par une maladie des voies respiratoires qui lui fut fatale. Car, par une ironie du destin, c’est le souffle qui manqua à ce grand poète amoureux des vents et souffleur de tempêtes !
**************************************************
Par les chemins noirs
De l’Arrée
Où vont-ils les déments ?
Ils poussent des troupeaux souillés
Dans les vallons de tourbes
Et dans leurs caboches molles
Des cloches d’airain cognent
Des glas épouvantables
Et de torrides effrois
On les voit les déments du côté de Commana
De Botmeur et de Brasparts
Leur panse pourrie de cidres amers
Et de vinasses violettes
Effrayant les corneilles
Que les épouvantails angoissent
Ils bavent les déments comme des gargouilles
Des jurons fatidiques
Entre de hargneuses malédictions
Déments
Démons
Abandonnés
Boulimiques
Ethyliques
Ils traînent leur lourd célibat
Dans les hameaux sans femme
Nulle flamme ne brûle leur coeur
Nulle épouse n’attend leur pas
Ils vont dans leur propre pays
Comme des relégués et des maudits
Leurs guenilles griffées par les ronces
L’œil mi-clos la bouche torve
Ils s’impatientent d’une vie trop longue
Dans la pluvieuse misère des Monts d’Arrée
Effarés
Oubliés
Damnés
De rares souvenirs parfois illuminent
Leur mémoire rabougrie
Ils songent aux jours anciens
Des avoines et des luzernes
Aux grandes faux lumineuses
Dans le golfe des hautes herbes,
Aux moissons triomphales, ils rêvent
Dans les étés criblés d’hirondelles
Au Jabadao, à l’an-dro des fêtes de nuit
Ils songent aux truites rieuses et aux rivières
Aux plaisirs des bretonnes enfances
Parmi les ogives les chênes et les hêtres
Et parfois raclant des colères
Sur leurs derniers chicots
Ces crapauds humiliés de l’ère industrielle
Crachent des venins dans les coquelicots
Ivrognes
Sourds
Lourds
Cramoisis
Les déments de l’Arrée sans descendance
Eteignent les vieux clans campagnards
Des gerbes et des meules
Ils ont refusé l’exil, l’usine et l’encan
Et la vie qui marche a piétiné leur raison
Leur laissant le quignon la soif et la misère
Et les grands chiens galeux des désastres fermiers
Lèchent leurs pieds jaunes sous les tables rondes
Par les chemins noirs
De l’Arrée
Où vont-ils les déments
A quel orme
Pour quel suicide ?
Seuls ils rient tels des idiots
Des choses de la vie et des grimaces de la mort
Et l’aube bondissante les trouve ainsi
Affalés dans leur fêlure mentale
La soif des gnôles meurtrières et flamboyantes
Reprend alors leur esprit solitaire
Et c’est en titubant
A Botmeur Commana et Brasparts
Qu’ils arpentent les chemins du néant
Face à la haine des pierres et au cynisme des ifs
Nos déments, nos semblables, nos frères…
Xavier Grall, in Genese et derniers poèmes, Ed. Calligrammes, 1982.
"Latins, vous m’avez crevé les yeux !
Je suis Celte. Je suis Breton.
Je suis le barde condamné.
Ma démence fait ma force.
Parfois, au fond de l’ivresse, flamboie la voyance".
Ferveur militante :
Mais c’est aussi la déception : sa Terre promise, son Amérique, ne ressemble pas à la Bretagne qu’il avait rêvée de Paris.
"Mais enfin, ce rapatriement si ardemment désiré, voici que je le réalisais et que les pluies mortelles se jetaient à ma face, que je trouvais un peuple affaissé, sans rêve et sans projet, voici que la Bretagne se résignait à suivre ses maîtres sans trop rechigner".
Il se mettra alors en tête de rêver sa Bretagne mythique pour lui donner corps et vie dans son oeuvre poétique. Commencera aussi alors, avec le chanteur Glenmor, une vie de militant fervent pour la promotion de l’identité bretonne, la régénérescence de la nation bretonne. Il entre en guerre contre les "embaumeurs de cadavres" qui se tournent exclusivement vers les gloires du passé. Il publie "Le Cheval couché" pour dénoncer le "folklorisme fossilisant" du Cheval d’orgueil de Per Jakez Hélias.
Pour Grall, il faut rêver la Bretagne avant de la faire. L’action poétique précède l’action politique. Il faut en quelque sorte marcher devant soi : "Ici plus que partout ailleurs, le poète précède le tribun. Il n’est de libertés réelles, établies, qui n’aient d’abord été imaginées. L’esprit sur la route marche devant les peuples".
Ferveur catholique :
Au seuil de la mort, Xavier Grall compose un poème d’un lyrisme époustouflant, un appel à Dieu d’un talent prodigieux "SOLO" publié chez Calligrammes (Quimper) devenu la maison d’édition "Les vents m’ont dit" :
(extrait)
"Seigneur me voici c’est moi
je viens de petite Bretagne
mon havresac est lourd de rimes
de chagrins et de larmes
j’ai marché
Jusqu’à votre grand pays
ce fut ma foi un long voyage
trouvère
j’ai marché par les villes
et les bourgades
François Villon
dormait dans une auberge
à Montfaucon
dans les Ardennes des corbeaux
et des hêtres
Rimbaud interpellait les écluses
les canaux et les fleuves
Verlaine pleurait comme une veuve
dans un bistrot de Lorraine
Seigneur me voici c’est moi
de Bretagne suis..."
La lecture de ce long poème déclenche immédiatement des sentiments puissants, plus encore quand elle se fait en récital, à haute voix. Des passages de ce texte résonnent pour toujours dans le coeur de ceux qui le découvrent pour la première fois.
Xavier Grall fascine encore aujourd’hui, non seulement pour ses poèmes de toute beauté, mais aussi pour avoir été le porte-drapeau d’une Bretagne renaissante, pour ses engagements politiques également, et enfin pour sa "gueule de breton", une gueule de barde décharnée à la fin de sa vie par une maladie des voies respiratoires qui lui fut fatale. Car, par une ironie du destin, c’est le souffle qui manqua à ce grand poète amoureux des vents et souffleur de tempêtes !
**************************************************
Les Déments
Par les chemins noirs
De l’Arrée
Où vont-ils les déments ?
Ils poussent des troupeaux souillés
Dans les vallons de tourbes
Et dans leurs caboches molles
Des cloches d’airain cognent
Des glas épouvantables
Et de torrides effrois
On les voit les déments du côté de Commana
De Botmeur et de Brasparts
Leur panse pourrie de cidres amers
Et de vinasses violettes
Effrayant les corneilles
Que les épouvantails angoissent
Ils bavent les déments comme des gargouilles
Des jurons fatidiques
Entre de hargneuses malédictions
Déments
Démons
Abandonnés
Boulimiques
Ethyliques
Ils traînent leur lourd célibat
Dans les hameaux sans femme
Nulle flamme ne brûle leur coeur
Nulle épouse n’attend leur pas
Ils vont dans leur propre pays
Comme des relégués et des maudits
Leurs guenilles griffées par les ronces
L’œil mi-clos la bouche torve
Ils s’impatientent d’une vie trop longue
Dans la pluvieuse misère des Monts d’Arrée
Effarés
Oubliés
Damnés
De rares souvenirs parfois illuminent
Leur mémoire rabougrie
Ils songent aux jours anciens
Des avoines et des luzernes
Aux grandes faux lumineuses
Dans le golfe des hautes herbes,
Aux moissons triomphales, ils rêvent
Dans les étés criblés d’hirondelles
Au Jabadao, à l’an-dro des fêtes de nuit
Ils songent aux truites rieuses et aux rivières
Aux plaisirs des bretonnes enfances
Parmi les ogives les chênes et les hêtres
Et parfois raclant des colères
Sur leurs derniers chicots
Ces crapauds humiliés de l’ère industrielle
Crachent des venins dans les coquelicots
Ivrognes
Sourds
Lourds
Cramoisis
Les déments de l’Arrée sans descendance
Eteignent les vieux clans campagnards
Des gerbes et des meules
Ils ont refusé l’exil, l’usine et l’encan
Et la vie qui marche a piétiné leur raison
Leur laissant le quignon la soif et la misère
Et les grands chiens galeux des désastres fermiers
Lèchent leurs pieds jaunes sous les tables rondes
Par les chemins noirs
De l’Arrée
Où vont-ils les déments
A quel orme
Pour quel suicide ?
Seuls ils rient tels des idiots
Des choses de la vie et des grimaces de la mort
Et l’aube bondissante les trouve ainsi
Affalés dans leur fêlure mentale
La soif des gnôles meurtrières et flamboyantes
Reprend alors leur esprit solitaire
Et c’est en titubant
A Botmeur Commana et Brasparts
Qu’ils arpentent les chemins du néant
Face à la haine des pierres et au cynisme des ifs
Nos déments, nos semblables, nos frères…
Xavier Grall, in Genese et derniers poèmes, Ed. Calligrammes, 1982.
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