Nicolas Bouvier

NICOLAS BOUVIER (1929~1998)

La dernière douane

Depuis que le silence
n’est plus le père de la musique
depuis que la parole a fini d’avouer
qu’elle ne nous conduit qu’au silence
les gouttières pleurent
il fait noir et il pleut
dans l’oubli des noms et des souvenirs
il reste quelque chose à dire
entre cette pluie et
Celle qu’on attend
entre le sarcasme et le testament
entre les trois coups de l’horloge
et les deux battements du sang
Mais par où commencer
depuis que le midi du pré
refuse de dire pourquoi
nous ne comprenons la simplicité
que quand le cœur se brise

Genève, avril 1983

_____

C’est l’été le plus chaud du siècle   
le jour le plus chaud de l’été
les ouvrières ont la nuque rasée
et des éventails en papier
Au terminus de la ligne 23
ce matin j’ai appris dix caractères chinois
je suis monté dans cet autobus rose
qui passe un col à l’ombre des bambous
marché le long de la rivière
marché, nagé et maintenant :
le soleil est un fil à plomb
au fil de l’eau passe une figue mordue
les plumes d’un poulet tué par le faucon
Rainettes, salamandres, libellules
le ciel est une éponge grise
trois montagnes font le dos rond
Sur les bornes de la rizière
il est écrit que la vie est fumée
j’en ferai ma fumée à moi
allongé au frais dans ce cimetière
entre Ayabé et Miyama
j’ai oublié dix caractères chinois

_____

La chanteuse a les yeux cernés de fatigue
j’aime beaucoup cette musique d’assassins
Un coup d’archet strident tranche une gorge
cithare et clarinette saignent
en grappes de groseilles tièdes

La voix de cette femme : rêche, bourrée de sang
elle module et se plaint
elle éteint les étoiles
Tout est désormais plaie et douceur

(in Le Dehors et le Dedans)

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