Réflexion... Musset

Qu’importe de quoi parlent les lèvres, lorsqu’on écoute les cœurs se répondre
Musset
La confession d'un enfant du siècle 


Chapitre VI
On dit qu'il n'y a rien de si rapide qu'un sentiment d'antipathie ; mais je crois qu'on devine plus vite encore qu'on se comprend et qu'on va s'aimer. De quel prix sont alors les moindres mots ! Qu'importe de quoi parlent les lèvres, lorsqu'on écoute les cœurs se répondre ! Quelle douceur infinie dans les premiers regards près d'une femme qui vous attire ! D'abord il semble que tout ce qu'on dit en présence l'un de l'autre soit comme des essais timides, comme de légères épreuves ; bientôt naît une joie étrange ; on sent qu'on a frappé un écho ; on s'anime d'une double vie. Quel toucher ! Quelle approche ! Et quand on est sûr de s'aimer, quand on a reconnu dans l'être chéri la fraternité qu'on y cherchait, quelle sérénité dans l'âme ! La parole expire d'elle-même ; on sait d'avance ce qu'on va se dire ; les âmes s'entendent, les lèvres se taisent. Oh ! quel silence ! quel oubli de tout !
Quoique mon amour, qui avait commencé dès le premier jour, eût augmenté jusqu'à l'excès, le respect que j'avais pour Mme Pierson m'avait pourtant fermé la bouche. Si elle m'eût admis moins facilement dans son intimité, j'eusse peut-être été plus hardi, car elle avait produit sur moi une impression si violente que je ne la quittais jamais sans des transports d'amour. Mais il y avait, dans sa franchise même et dans la confiance qu'elle me témoignait, quelque chose qui m'arrêtait ; en outre c'était sur le nom de mon père qu'elle m'avait traité en ami. Cette considération me rendait encore plus respectueux auprès d'elle ; je tenais à me montrer digne de ce nom.
« Parler d'amour, dit-on, c'est faire l'amour. » Nous en parlions rarement. Toutes les fois qu'il m'arrivait de toucher ce sujet en passant, Mme Pierson répondait à peine et parlait d'autre chose. Je ne démêlais pas par quel motif, car ce n'était pas pruderie ; mais il me semblait quelquefois que son visage prenait, dans ces occasions, une légère teinte de sévérité, et même de souffrance. Comme je ne lui avais jamais fait de questions sur sa vie passée et que je ne voulais point lui en faire, je ne lui en demandais pas plus long.
Le dimanche, on dansait au village ; elle y allait presque toujours. Ces jours-là, sa toilette était plus élégante, quoique toujours simple ; c'était une fleur dans les cheveux, un ruban plus gai, la moindre bagatelle ; mais il y avait dans toute sa personne un air plus jeune, plus dégagé. La danse, qu'elle aimait beaucoup pour elle-même, et franchement, comme un exercice amusant, lui inspirait une gaieté folâtre ; elle avait sa place sous le petit orchestre de l'endroit ; elle y arrivait en sautant, riant avec les filles de campagne, qui la connaissaient presque toutes. Une fois lancée, elle ne s'arrêtait plus. Alors il me semblait qu'elle me parlait avec plus de liberté qu'à l'ordinaire ; il y avait entre nous une familiarité inusitée. Je ne dansais pas, étant encore en deuil, mais je restais derrière elle, et, la voyant si bien disposée, j'avais éprouvé plus d'une fois la tentation de lui avouer que je l'aimais.
Mais je ne sais pourquoi, dès que j'y pensais, je me sentais une peur invincible ; cette seule idée d'un aveu me rendait tout à coup sérieux au milieu des entretiens les plus gais. J'avais pensé quelquefois à lui écrire, mais je brûlais mes lettres dès qu'elles étaient à moitié.
Ce soir-là, j'avais dîné chez elle ; je regardais toute cette tranquillité de son intérieur ; je pensais à la vie calme que je menais, à mon bonheur depuis que je la connaissais, et je me disais : « Pourquoi davantage ? Cela ne te suffit pas ? Qui sait ? Dieu n'en a peut-être pas fait plus pour toi. Si je lui disais que je l'aime, qu'en arriverait-il ? Elle me défendrait peut-être de la voir. La rendrais-je, en le lui disant, plus heureuse qu'elle ne l'est aujourd'hui ? En serais-je plus heureux moi-même ? »

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