Colette Nys-Mazure

 

 

Des aires et des ères de solitude

"Tôt le matin, abeilles enchantées, des mots vont et viennent, magnifient le monde. Ils informent et métamorphosent, suscitent notre écriture, la sollicitent.
Loin des turbulences, là où s'édifie le for intérieur, l'écart, l'intime."


"C'est une femme de très longue haleine, à tenir tous les seuils en laisse, à doubler l'avenir. Une femme reine dans l'ombre feutrée des chambres ou sur la place publique. Sa silhouette ne plie pas sous le vent; elle ne s'efface pas avec les brouillards du matin mais s'affirme clairement aux carrefours tumultueux.
C'est une femme qui marche à la rencontre du temps. L'allure hauturière, elle glisse entre les récifs. Elle a dénoué les mains et tient visage ouvert.
( la souveraine)

"De solitude à solitude
       s'échangent respect et connivence
Ce lieu en toi qui m'attire
            me provoque se dérobe
      ainsi te fascine mon espace privé
De seuil à seuil
                  vif accord "

 Arbres

 "Et moi, de l'arbre, je tiens l'ancrage en terre ancienne, fanges, pierriers, argiles, limons et craies, strates d'humus odorant. Mes racines forcent schistes et calcaires : doigts puissants, poussant loin leur prise et leur appui, suçant la vie à l’œuvre au noir du magma. Fécondes ténèbres, obscur travail souterrain, gestation. Je dure et je m'accrois.

Et moi, de l'arbre, à l'assaut du firmament et de l'espace, je lance le jet de mon tronc ligneux, flammes végétales. Je fuse vers les nuages, j'expulse continûment ma sève et ma force. J'éclate en bourgeons, je me couvre de fleurs, de feuilles, de fruits : prodigue, je me répands, graines à tous vents, pouvoirs éparpillés, source. Je me boise et me déboise : me fie aux saisons, me soumets aux cycles, sûr du rebond, du regain, du printemps . Je meurs pour rire et m'enchante de mes métamorphoses. Axe immuable au sein du tourbillon. Moyeu de la roue folle des planètes, futaie de cocagne et grand mât de misaine, vibrant, jaillissant.

Et de l'arbre, j'ai la charpente vigoureuse, fourches et espaliers. Perchoirs d'oiseaux à la hune. Infinie patience, entêtée résistance, sereine vitalité . Mains de platanes, chevelures de saules éperdus, toisons ruisselantes . Trio de bouleaux, mes repères dans le désert des neiges.

Et moi, de l'arbre, j'ose les irréconciliables : imperméable et poreux.(...)

Et moi, de l'arbre, je prends ombrage (...)

Et moi, de l'arbre, je poursuis le refuge.(...)

Et moi, de l'arbre, j'ai la violence pénétrante, l'intime jouissance. L'envoûtement autant que la sage connaissance, ouvert au multiple, enraciné dans l'un. La vie, issue de la terre, se resserre in instant dans mon bois pour s'écarquiller plus largement dans le déploiement de l'air et de la lumière.

Nefs et chapelles adjacentes. Temple . Entre ciel terre et ciel, j'intercède, je plaide, je concilie.
(...)
Et moi, de l'arbre, j'entérine l'anathème, cri au ciel, branches tendues dans l'émoi du coeur insolent, griffes, éclairs forcenés, brisures, fractures, contusions. J'élargis, j'écartèle.
(...) "

Colette Nys-Mazure – Parti pris (1975)

Je sais la mort, le vide, l’angoisse suante.
Je pourrais hurler au mal, à la nuit.
Crier le temps à l’œuvre en moi :
la lente corruption des sources,
la chair qui se défait
et le cœur qui s’effrite.
Les pans d’ombre dévorant le soleil
et la vie s’échappe et fuit par toutes les issues.
Les espoirs mort-nés,
les soifs mal étanchées.
Les folies douces et noires,
les suicides rêvés
et l’usure de l’être,
la solitude, le gel de l’âme,
les illusions fanées,
les amours avortées.
Je dis la beauté du monde toujours offerte,
là, sous mes doigts, sous mes yeux.
La joie pudique et la fête sans lendemain.
L’espérance apprise,
la sève obstinée,
la chanson patiente.
Les instants d’éternité et l’éternité entrevue.
L’aventure inouïe d’un réveil,
le jaillissement de la création
et l’invention de l’amour.
Le bonheur surpris et la mort apprivoisée.
Je ne maudirai pas les ténèbres,
je tiendrai haut la lampe.
 La vie à foison (1975)
 https://schabrieres.wordpress.com/2014/01/21/colette-nys-mazure-parti-pris-1975/



Graine, longue patience


Nous n’osions plus espérer.
L’épaisseur du temps, l’écartèlement de l’espace
et ce violent silence entre nous.
Comment croire en  la résurgence
de ce qui fut un jour
si profondément enfoui ?
Latence souterraine
au noir des doutes et des soupçons,
de l’abandon sans issue,
du déni, de l’oubli même.
Un ferment travaillait à notre insu.
Croissance aveugle, sourde germination.
Rien qu’un regard - sa  confiance -
dans l’embrasure d’un matin de Pâques.
Et  c’est l’irruption de retrouvailles inouïes.
Te voici devant moi,
                            bras ouverts où me nicher.

janvier 2013

 Contrechamp


Ecrire, faisions-nous, échangeant nos signes de reconnaissance par-dessus la haie des heures, à travers l’aire de jeu provisoire.

bien avant l’aube/ la pluie aiguë/ son crépitement/ griffes de chat contre le carreau/ l’écouter s’affairer/ imprégner la terre avide

Et nous éclations de ce rire un instant suspendu entre flaques et nuages. Nous partagions des stupeurs, penchés sur notre image fuyante.

l’aurore inscrite/ dans les replis du noir/ une annonce incisive/ la pâleur lente à s’affirmer/ au-dessus du jardin`

Chanter. Nous aimions claironner par les rues, leur désert, mais aussi à voix très basse, à bouche cousue. Une rumeur d’être.

le matin parcourt les allées/ fend les feuilles rouges/ dissipe la brume/ disque flamboyant/ aux abords du fleuve noyé

Et nous n’avions pas peur du loup- garou tapi sous les buissons. Notre ferveur était sans alarme. Nous serrions, enfoui au creux d’une poche, le galet-talisman.

la matinée s’étirait en lumière/ posée sur la brique/ une allure de croisière/ vouée à ne pas finir/ hauturière/ et pourtant

Bondir par-dessus la dalle, le ruisseau, le temps. Ivresse des envols. Défier la marche vaseuse, l’allure calculée, empruntée

dès midi/ nuages effilochés/ masquant brièvement le soleil/ une fraîcheur dans la chaleur/ un vent levé/ bousculant les branches/ attisant les chutes

Et nous dépassions les maisons, nous empruntions les traverses, pénétrions les forêts. Etendus dans les clairières, gorgés de ciel entre les feuilles.

les après-midi indemnes/ liesse hors mesure/ clarté longue/ lucide/ une allégresse d’autant plus vive/ qu’elle était menacée

Escalader les branches basses, se hisser lestement , atteindre le faîte et surplomber la houle verte, toiser les toits, pressentir une vie rien qu’à soi.

le crépuscule/ son embrasement derrière la colline/ avant l’effacement/ tel un don/ une splendeur dorée/ sur le paysage engourdi

Et nous demeurions des éternités à faire provision d’images glorieuses, à les engranger pour les jours murés où nous perdrions jusqu’à la mémoire de l’aventure.

la nuit peut venir/ la beauté est si vaste/ un chenal départagera les ombres/ la ténèbre propice/ la sereine/ embaumera tout effroi

http://www.recoursaupoeme.fr/po%C3%A8tes/colette-nys-mazure


http://www.ecrivainscroyants.fr/2013/09/21/nys-mazure-anna-metro-lire/
Anna
Pourquoi j'ai écrit ce livre

 http://www.laprocure.com/biographies/Nys-Mazure-Colette/0-1290756.html

http://www.encres-vagabondes.com/rencontre/nysmazure.htm


http://www.colettenysmazure.be/


http://ecrits-vains.com/points_de_vue/renee_laurentine02.htm
L'écriture est une passerelle

http://fr.wikipedia.org/wiki/Colette_Nys-Mazure

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