Paul Eluard 1895 - 1952.
J'entends vibrer ta voix dans les bruits du monde"
La courbe de tes yeux
La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.
Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,
Parfums éclos d’une couvée d’aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.
Paul Eluard, Capitale de la douleur, 1926
La terre est bleue
La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
Les fous et les amours
Elle sa bouche d’alliance
Tous les secrets tous les sourires
Et quels vêtements d’indulgence
À la croire toute nue.
Les guêpes fleurissent vert
L’aube se passe autour du cou
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles
Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté.
Paul Eluard, L’amour la poésie, 1929
ET UN SOURIRE
La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager
Paul Eluard
in Le phénix ( Derniers poèmes d’amour) éd. Seghers.
Je t’aime
Je t’aime pour toutes les femmes
Que je n’ai pas connues
Je t’aime pour tout le temps
Où je n’ai pas vécu
Pour l’odeur du grand large
Et l’odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond
Pour les premières fleurs
Pour les animaux purs
Que l’homme n’effraie pas
Je t’aime pour aimer
Je t’aime pour toutes les femmes
Que je n’aime pas
Qui me reflète sinon toi-même
Je me vois si peu
Sans toi je ne vois rien
Qu’une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd’hui
Il y a eu toutes ces morts
Que j’ai franchies
Sur de la paille
Je n’ai pas pu percer
Le mur de mon miroir
Il m’a fallu apprendre
Mot par mot la vie
Comme on oublie
Je t’aime pour ta sagesse
Qui n’est pas la mienne
Pour la santé je t’aime
Contre tout ce qui n’est qu’illusion
Pour ce cœur immortel
Que je ne détiens pas
Que tu crois être le doute
Et tu n’es que raison
Tu es le grand soleil
Qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi
Quand je suis sûr de moi
Tu es le grand soleil
Qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi
Quand je suis sûr de moi
Paul Eluard
Ta bouche aux lèvres d'or
Ta bouche aux lèvres d'or n'est pas en moi pour rire
Et tes mots d'auréole ont un sens si parfait
Que dans mes nuits d'années, de jeunesse et de mort
J'entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde
Dans cette aube de soie où végète le froid
La luxure en péril regrette le sommeil,
Dans les mains du soleil tous les corps qui s'éveillent
Grelottent à l'idée de retrouver leur cœur
Souvenirs de bois vert, brouillard où je m'enfonce
J'ai refermé les yeux sur moi, je suis à toi,
Toute ma vie t'écoute et je ne peux détruire
Les terribles loisirs que ton amour me crée.
Paul Eluard in Capitale de la douleur. – 1926 –
Un oiseau s’envole
Un oiseau s’envole,
II rejette les nues comme un voile inutile,
II n’a jamais craint la lumière,
Enfermé dans son vol
II n’a jamais eu d’ombre.
Coquilles des moissons brisées par le soleil.
Toutes les feuilles dans les bois disent oui,
Elles ne savent dire que oui,
Toute question, toute réponse
Et la rosée coule au fond de ce oui.
Un homme aux yeux légers décrit le ciel d’amour.
Il en rassemble les merveilles
Comme des feuilles dans un bois,
Comme des oiseaux dans leurs ailes
Et des hommes dans le sommeil.
Paul Eluard
<3
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Ciel dont j’ai dépassé la nuit
Plaines toutes petites dans mes mains ouvertes
Dans leur double horizon inerte indifférent
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Je te cherche par-delà l’attente
Par-delà moi-même
Et je ne sais plus tant je t’aime
Lequel de nous deux est absent.
(L’Amour, la Poésie)
On ne peut me connaître
Mieux que tu me connais
Tes yeux dans lesquels nous dormons
Tous les deux
Ont fait à mes lumières d’homme
Un sort meilleur qu’aux nuits du monde
Tes yeux dans lesquels je voyage
Ont donné aux gestes des routes
Un sens détaché de la terre
Dans tes yeux ceux qui nous révèlent
Notre solitude infinie
Ne sont plus ce qu’ils croyaient être
On ne peut te connaître
Mieux que je te connais.
(Les yeux fertiles)
C'est la douce loi des hommes
Du raisin ils font du vin
Du charbon ils font du feu
Des baisers ils font des hommes
C'est la dure loi des hommes
Se garder intact malgré
Les guerres et la misère
Malgré les dangers de mort
C'est la chaude loi des hommes
De changer l'eau en lumière
Le rêve en réalité
Et les ennemis en frères
Une loi vieille et nouvelle
Qui va se perfectionnant
Du fond du cœur de l'enfant
Jusqu'à la raison suprême
...
Des vers d’amour, j’en ai rarement fait.
Je ne sais pas murmurer : « Je t’adore »
En rythmes doux, qu’inspiré, l’on décore
Des mots subtils, par lesquels est parfait
Le très cher lien, qui toujours, veut éclore.
Je crois qu’un jour, Daudet vit le préfet,
Dans un grand bois, consommer le forfait
De mal rimer — je dis ce qu’on ignore —
Des vers d’amour.
Je produirais sûrement mon effet
Si j’en faisais, mais je suis satisfait
De mes succès de brillant matamore...
Quand je serai le vieux beau qu’on honore,
J’ouvrerai pour un minois stupéfait
Des vers d’amour.
In premiers poèmes - fonde au de la suffisance
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