Jean Rousselot 1913 - 2004


Comme si dire
V
Comme si dire était moins vain que vivre
A peine nous a-t-on décrété d'imposture
Et condamné au acrcan de la parenthèse à suivre
Dans le feuilleton sans fin ni commencement de l'être
Voilà qu'on se remet à feindre
D'avoir pied dans la mangrove du langage
Et de se prendre alors qu'on coule
Pour le fondé de pouvoir de l'âme
Le Jacquard des choses
Et le législateur de toute anamorphose

(Pour la ci-devant 
poésie)

Dans l'encre

Tant de coïts bâclés d'agonies feintes
Et de prières secrètes au dieu qu'on nie
N'empêcheront jamais les mots
De mourir dans l'encre
Comme ils y sont nés

(Dieu c'est peut-être...)

L'horloge

Tant que nous surnageons accrochés
A nos propres épaves
Nous ne nous demandons pas
Ce qu'il adviendra de l'horloge
Qui s'affuble en vieille
Pour qu'on la laisse moudre en paix
Les jours qu'elle a mis de côté.

Nous aurons le temps d'y penser
Une fois pris nos quartiers
Dans une mort un peu durable

Espoir de la retrouver alors
Jeune fille prodigue en sourires
Toute à l'orgueil de ses bandeaux dorés
Bombant innocemment vers l'avenir
Le soleil de son ventre encore exonéré

Comptable des mots

Comptable des mots qui croient faire
Du sens avec des sentiments
On l'est aussi des plaintes muettes
De la wassingue que l'on tord 

Des idées de meurtre qui viennent
A la guimbarde qu'on surcharge
A la forêt qu'on dévaste
Au chien qu'on outrage

Comme s'il ne suffisait pas
Que l'on soit incapable de payer
De son propre sang le mal
Que l'homme partout fait à l'homme.

Crissement d'étoiles

pour Jean Bouhier

Puisque rien ne ressemble autant
A un crissement d'étoiles
Sous la botte du dieu qu'on enfanta
Qu'un grincement de dents de la mer
Qui nous mit au monde
Remercions l'un et l'autre
De nous empêcher de dormir

Comme le sang du crime

Dans la poubelle aux adjectifs
Il faut jeter aussi l'espoir
Qui souille la liberté

Ainsi font les lavandières
Après usage
Du bleu qui leur colle aux doigts
Comme le sang du crime
A ceux de Lady Macbeth

Ici et maintenant
Pour Claude de Burine

Il en va du bouleau qui danse
Au lieu de mieux s'enraciner
Comme du mort qui ne veut manger
Que dans une assiette à fleurs
Ou du gardien qui marque contre son camp :

Nous sommes tous à la place qu'il faut
Ici et maintenant
Sur les rives du fleuve
Sans source ni estuaire
Qui se dit être le temps.

L'éternité

En vain ramène-t-on au bercail
Les arbres qui ont rompu leurs chaînes
Pour aller faire l'amour au ciel

Même devenus mâts tables douelles ou poutres
Ils continuent d'engendrer des étoiles
Dont aucune ne mourra ab intestat.
L'éternité n'a pas d'autre raison.

I.M.Avicenne

Puisqu'on tolère de vivre sans espoir
Que va-t-on comme la pilule
Dorer la douleur de vivre ?

Mieux vaudrait faire d'elle
Une hypostase comestible
Du rien que sont l'excellent et le pire.

Jacinthe

Sans le vouloir la jacinthe
Première du nom chaque année
M'en dit plus long que la poétaille
Sur le hasard qui nous fait vivre
Et sur le plan d'occupation des mots


(Agenda)


Il n'y a plus de mots

Air bien connu les poèmes
Se font avec des mots

Mais s'il n'y a plus de mots
En dehors de ceux qui tuent
Pour le droit du pétrole
Le devoir de la haine
Ou la grandeur de Dieu ?

Autant faire un bouche-à-bouche
Aux morts

6 février 1991

Jean Rousselot In le spectacle continue

Contribution au numéro spécial de la revue Europe : Contre-feu (Guerre du Golfe)
(Reprises)
in Le spectacle continue

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 http://diereseetlesdeux-siciles.hautetfort.com/archive/2015/09/09/dans-les-filets-du-reveil-e-c-editions-1999-5682193.html 
Article de Daniel Martinez

"Dans les filets du réveil", E.C. éditions, 1999

Quelques phrases de ce recueil, Dans les filets du réveil, paru à l'orée du vingt-et-unième siècle chez un petit éditeur du dixième arrondissement parisien, signées par Jean Rousselot, que je vous laisse boire à petites lampées ce tantôt (il est à noter qu'elles trouveront un ultime prolongement dans le dernier livre que j'ai publié du vivant de l'auteur, Minimes) :
En préambule : "Il s'agit là de phrases, formulées dans mes rêves, tant par moi que par d'autres, identifiables ou non. Beaucoup sont étranges, illogiques, voire parfaitement incompréhensibles. Certaines, en revanche, expriment sans apparente ambiguïté des sentiments et des idées disons ordinaires où se permettent des allures aphoristiques." JR
* *

- Qu'est-ce qu'un poète ?
- Un grain de blé oublié au fond d'un sac.
Les abîmes du langage sont pleins de poètes qui ont dévissé.
La nature est de la poésie disqualifiée.
Le temps grésille dans l'éternité comme le fer rouge dans l'eau froide.
L'invention de la perspective a raccourci le temps.
Le présent finira bien par advenir.
Trop tard, c'était bien Cipango !
Méfiez-vous des siècles qui nagent à contre-courant.
Qu'attends-tu pour ramasser les étoiles ? Dans une heure, il fera jour.
Vue de près, Vénus est un oignon en fleur.
- Et Jupiter, vous y arriverez quand ?
- Juste après l'agonie de la terre.
Je t'en reparlerai le jour de tes mille ans.
Nous faudra-t-il mourir pour que Dieu ressuscite ?
Faut-il martyriser cette forêt qui ronronne entre nos bras ?
- Et que pensez-vous de Sartre ?
- Il louchait mais découpait un melon à la perfection.
La raison du dehors est toujours la meilleure.
- Et après ?
- Il suffira d'aérer.

 Jean Rousselot



Chanson du possible

Un oiseau sous la mer
Qui marche à petits pas
Cela ne se peut guère
Cela ne se peut pas

Un marchand de biftèques
Qui les donne pou rien
Cela ne se peut guère
Cela ne se peut point

Un général qui crie
A bas la guerre à bas
Cela ne se peut mie
Cela ne se peut pas

Mais un rat bibycliste
Un poisson angora
Un chat premier ministre
Un pou qui met des bas

Une rose trémière
qui fait des pieds de nez
Tout ça se peut ma chère
Il suffit d'y penser.

http://www.recoursaupoeme.fr/essais/hommage-%C3%A0-jean-rousselot/christophe-dauphin


http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2011/12/jean-rousselot-un-po%C3%A8te-de-l%C3%A9cole-de-rochefort.html

http://nouvellerevuemoderne.free.fr/leducationsentimentale.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Rousselot

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