Levée en masse - Jean Malrieu 1915 - 1976


Levée en masse


Ne serait-ce qu’une fois, si tu parlas de liberté,
Tes lèvres, pour l’avoir connue, en ont gardé le goût du sel,
Je t’en prie,
Par tous les mots qui ont approché l’espoir et qui tressaillent,
Sois celui qui marche sur la mer.
Donne-nous l’orage de demain.

Les hommes meurent sans connaître la joie.
Les pierres au gré des routes attendent la lévitation.

Si le bonheur n’est pas au monde nous partirons à sa rencontre.
Nous avons pour l’apprivoiser les merveilleux manteaux de l’incendie.

Si ta vie s’endort,
risque-la.

Jean Malrieu in Libre comme une maison en flammes



Le mot bleu fait partie de l'impossible.
Une note colorée déplace le centre.
Cela pourrait être une veste oubliée sur un portail,
Comment entrer dans ce cadre à mille lieues ?
Il n'y a pas de porte.
C'est écrit avec des signes solaires
D'une écriture phénycienne avec des taches de lichen.
Le sphynx étire ses pattes.
Un homme vient de passer.
Il y a des remous. L'air est habité.


Ne parle pas. Ne parle pas. Ne parle pas.
L'air va fleurir. C'est un bouquet triste
Vite fané. Sois prêt, le mur va s'ouvrir
Et tu verras le versant de l'autre monde.


Chacun s'en va selon son rythme
Avec un air de danse dans la tête,
La réalité dans les bras. Chacun est
Heureux, chacun est triste des mêmes choses.


La route est pleine de chansons inouïes
Et le cœur de fleurs saccagées.


La croix de Belaygue

Ce n'est pas le corps qui se dégage de la pierre,
C'est elle qui l'envahit
Et les poignets sont pris
Et la tête penche sur l'épaule comme un début de colline.
Les muscles ont des attaches lointaines au-delà des routes
Avec les arbres, les talus, plus loin que l'horizon.
C'est une pierre dévorante
Qui hèle la croix dans mille branchages au carrefour
Et retient la nuit le voyageur supplicié
Dans une osmose géante qui élargit le ciel.



Celui qui habite le chant, l'étage que je n'atteint pas,
Qui vit de l'air,
Prend souffle où je m'exténue.
La bête étrange du poème
Se retourne dans son sommeil
Et le poème tremble où les hommes se rassemblent.
Quel est celui qui a saisi ma vie ?




A l'entrée du pays,
Passe, dit la branche de roses.
La bardane et le fenouil veillent,
Constellations du vent et du silence.
Seul le rythme intérieur du sang
Nous conduit. Nous sommes les vivants
Engagés vers l'autre côté des choses.


Magnifiquement calme, inviolé, inchangé,
Le paysage guette. Il attend,
Familier.
A nous de choisir l'ombre bleue,
Les allées qui ouvriront le chemin.
Un petit vent comme un jeune chien nous accompagne,
Il gambade,
Il unit la terre à l'autre terre.




Nous sommes sur la frontière
Alertés en pays de conscience
Et prêts à la plongée.

Deux feuilles brunes en tourbillon
Sont passées. Présages de fées.

Dans la chaleur, le vide,
Les esprits de l'air nous entraînent.
Le vieux mur va s'ouvrir, flexible comme l'eau.

Voyageurs immobiles, quelle fièvre
Nous habite, perdus dans l'ineffable visage ?



Ce qui m'intéresse c'est la joie.
Elle ne vient pas par le chemin des palmes,
Elle chante derrière quelque chose,
Perpétuellement en route. Comme l'eau
Derrière le rocher, le vent derrière la porte :
Apprivoiser les mots, leur laisser passage
Entre les arbres. par quelle route non pavée
Viennent l'adoration et la magie ?




C'est dans le sommet que j'habite,
Où la lumière est crue.
Une herbe tendre comme une croupe.
Paysage masculin, féminin,
Hanté de plaques tournantes,
Autant d'arbres, autant de cadrans
Et personne pour lire l'heure.
C'est avant le déluge
Promis à la destruction,
Détruit avant d'être créé,
Quelque chose comme l'innocence non révélée,
Le bleu clair qui sonne
Dans un air sans tympan,
Un dieu sans visage enfoui dans le cœur de l'arbre,
Mais qui ordonne tout
A partir de l'ombre ou du jour, on ne sait pas.



Le temps se plaît sur les limites du feuillage.
Comment vivre avec douceur, dans ce silence ?
Les mots s'effondrent.
L'habitude du malheur et de la joie nous a donné
Une âme de paille et d'airain.
Et voici que désarmé je passe dans un monde sensible
Où les ombres supplient.
Le temps est amer, disent-elles.
Et je me courbe, j'ai mal au cœur,
Les taches de rouille sur les mains
Parlent de la Terre Promise.




Déjà l'herbe brûlée,
Le sentiment des promesses tenues,
La lourdeur des fruits,
L'acceptation.



Ceux qui foulèrent ce sentier
S'en sont allés.
Les collines sont mystérieuses.
Ils ne sont pas perdus dans les bleus lointains,
Dans l'humilité anonyme
Des passants.



Très tard, aux lieux où ils disparurent,
Un espace blanc



Que veille
Une présence désespérée.

http://ardentpays12.over-blog.com/2015/09/jean-malrieu-en-pays-de-vertige.html
poèmes extraits de En pays de vertige

http://www.barapoemes.net/archives/2014/11/14/30956584.html
 Le veilleur
http://revue-texture.fr/libre-comme-une-maison-en-flammes.html

https://schabrieres.wordpress.com/2013/07/16/jean-malrieu-levee-en-masse-1953/

 https://schabrieres.wordpress.com/2013/07/13/jean-malrieu-vivre-vite/
 Vivre vite

Et tu te hâteras d’admirer.
Crains la nuit. Elle vient vite.
Prends parti.
N’aime pas. Adore.
Au moins, tu vivras au sommet du bond.
Cherche l’amplitude.
Exige. Délire.
Ne rêve plus. Invente-toi.
Crie.
***
http://temporel.fr/Jean-Malrieu-par-Yvon-Le-Men

  http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/malrieu.html
Si jamais

Si jamais, quand je serai mort, allumant ta lampe, tu vois
La mer assise dans la chambre,
Si jamais, quand soufflera le vent dans les ruelles, tu entends
Mon pas s'arrêter à ta mémoire,
Tu sauras
Combien je t'aime de par le monde désolé
Pour avoir demandé à ceux que nous aimions
De te parler de moi.

Tu seras morte aussi depuis longtemps et déjà seule dans une chambre
de poussière où tout est gris.
Dehors j'aurai rôdé comme faisait l'amour ouvrant les portes, et me
voilà
Entrant avec un bon soleil comme il en fait sur terre.
J'aurai quatre ou cinq visages de toi qui saignent,
Des visages de larmes,
Des visages de verre.
Ne me regarde pas tant que je suis vivant.
La naissance du temps frappe à la tempe.
N'écoutons pas passer le vent.
Nous sommes là pour passer quelque temps.
Il fera longtemps beau demain.
Il fera longtemps clair au ciel.
(Préface à l'amour)

Alors tu prendras ton habit de feuilles du jardin.
N'oublie pas le romarin au pied du mur,
Le caillou que je jetais à ta fenêtre.
Une poignée d'air se souvient.
Les roseaux froissés nous diront toujours l'heure.

Tu prendras le fantôme du chien qui dort sous le rosier
Et la petite grenouille des murs qui chante sur trois notes
Aime-moi.
Aime-moi. Ainsi je dis.
La bénédiction des arbres tombe sur la rosée.
Ceux qui ne dorment pas préparent de nouvelles fêtes.
Aime-moi. Souviens-toi.
Je n'ai d'autre prière. Je suis fragile.

http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2013/09/jean-malrieu-le-temps-du-d%C3%A9sir.html
 Nuit d’herbe

Nuit d’herbe, nuit mise à nu, nuit d’ignorance, nuit de refus,
Je gémis. La barque à l’ancre se soulève. Le dernier flot de la marée accourt.
Ne crains rien des douleurs de l’amour. Les oiseaux dorment. Le vent ne sait où se poser.
Il se repose
Et sans maître habité par la nuit, je suis aussi ce bateau fou.
Beau temps, n’est-ce pas, timonier ?
Beau temps de minuit, beau temps de l’amour.
Les câbles et cabestans grincent. C’est le désir. Des vagues s’épousent.
Le port est au bout du monde, tes hanches, tes seins, je ne sais.
Je gémis de toute plainte pour tous les hommes. Je psalmodie, je crie, je murmure, je me tais.
Je n’ai rien dit, je n’ai rien fait.
Car tes cheveux comme les forêts brûlent avec ton odeur de fruits lointains. (…)


In Préface de l’amour (1953), dans Libre comme une maison en flammes, œuvre poétique 1935-1976,

 http://pierresel.typepad.fr/la-pierre-et-le-sel/2013/02/un-jour-un-po%C3%A8me-jean-malrieu-%C3%A0-lusage-des-humbles.html

À l’usage des humbles Jean Malrieu
A l’usage des humbles, de ceux qui s’aiment, j’écris que la terre est dure, que tout passe, hormis l’amour.
J’écris ce que je sais et ce que nous savons, mais que nous avons à mieux connaître pour vivre,
Que la fougère épouse le houblon,
Que l’amour n’est jamais malheureux.
J’écris à longue haleine parce qu’au bout du souffle il y a le rire à délivrer.
J’écris le monde qui sera.
Ce n’est pas en un jour qu’il viendra, mais après un long respect, une longue connaissance.
J’écris pour assumer le bonheur.
Et que m’importe comment si l’herbe au crépuscule a un langage stellaire.
Si je dis que tout est familier, ceux qui s’aiment entrent sans hésiter dans le système des gravitations.
M’entendez-vous ? La mer est à ma porte et je ne la retiens que par un tout petit peu d’imagination.
M’entendez-vous lorsque j’accorde audience aux grands thèmes de passage.
Je me bats avec les éclats de rire, les armes de la jeunesse, avec la centaurée sauvage, la bourrache et le lotier.
J’appelle au nom de la santé des prés, de la houle des sainfoins, de la sueur des hommes.
J’appelle au nom des cheveux de l’aimée, d’une main prise sur l’épaule, d’un avenir commencé à deux.
Avec les armes du plaisir, avec les larmes du désir.
J’écris le bonheur sur la table.
In « Les Maisons de feuillage » http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=514
 LE PLUS BEAU JOUR

S’il pouvait faire un temps à mettre un chien dehors
Si je pouvais avoir un cœur à fendre pierre
Si l’amour devenait plus lâche que la mort
Si nous étions des morts pour parler de la vie
Si nous étions heureux pour ne plus rien nous dire
Si nous étions vivants pour pouvoir nous aimer
Si le monde n’était pas fait pour le refaire
Si tu n’existais pas pour pouvoir t’inventer.

extrait de "C'était hier et c'est demain", éd. Seghers, 2004

http://www.poemes.co/jean-malrieu.html
 3 poèmes
http://www.wikipoemes.com/poemes/jean-malrieu/
http://www.wikipoemes.com/poemes/jean-malrieu/biographie-index.php

http://emmila.canalblog.com/archives/poesie___jean_malrieu/index.html
 Extraits

http://anthologie.over-blog.com/article-6427429.html

http://www.vivreaupays.pro/Patrimoine/tabid/80/ProdID/4637/Langauge/fr-FR/CatID/39/JEAN_MALRIEU_POETE_MONTAUBAN_PENNE_.aspx


https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Malrieu

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