Marcelle Delpastre
La place Comment peux-tu parler de ces pays lointains, si tu n’es pas allé jusqu’au bout de l’angoisse ? Comment sais-tu la mer, qui ne se dit qu’aux temps futurs, sans avoir voyagé jusqu’au fond de l’espoir ? Ici tu as vécu. Chaque chose t’apprenait sa place. L’hiver et la saison des fruits, le goût des pommes, le poids des paniers, le dos courbé sur les genoux, l’odeur de la terre. Tu connaissais le bois qui résiste au couteau, qui éclate en parfums sous la hache, qui se polit entre les paumes. Et l’arbre qui se tient debout. Tu comprenais la pierre arrachée au sol, le sable et la poussière. Tu bâtissais le mur, tu élevais le toit. Tu as touché avec tes mains, tu soulevais avec tes bras. Tu semais sur la terre ouverte, tu fauchais la gerbe. Tu portais sur l’épaule et menais jusqu’au bout l’office lent du pain. Tu savourais tes nourritures. Chaque chose te disait son poids, sa forme et sa mesure. Chacune t’enseignait son corps. Tu essayais ta f...