Poésie ininterrompue Allez donc pleurer ou rire Dans ce monde de buvard Prendre forme dans l’informe Prendre empreinte dans le flou Prendre sens dans l’insensé Dans ce monde sans espoir Si nous montions d’un degré Eluard
Tout dire Le tout est de tout dire, et je manque de mots Et je manque de temps, et je manque d'audace Je rêve et je dévide au hasard mes images J'ai mal vécu, et mal appris à parler clair. Tout dire les roches, la route et les pavés Les rues et leurs passants les champs et les bergers Le duvet du printemps la rouille de l'hiver Le froid et la chaleur composant un seul fruit Je veux montrer la foule et chaque homme en détail Avec ce qui l'anime et qui le désespère Et sous ses saisons d'homme tout ce qui l'éclaire Son espoir et son sang son histoire et sa peine Je veux montrer la foule immense divisée La foule cloisonnée comme un cimetière Et la foule plus forte que son ombre impure Ayant rompu ses murs ayant vaincu ses maîtres La famille des mains, la famille des feuilles Et l'animal errant sans personnalité Le fleuve et la rosée fécondants et fertiles La justice debout le pouvoir bien planté Paul Eluard
ROGER-ARNOULD RIVIERE (1930~1959) Poème de la cassure Je sais la cassure du petit matin, l’aplomb brutal de midi, la sournoise inversion du soir Je sais le vertigineux à-pic de la nuit et l’accablante horizontalité du jour Je sais les hauts et les bas, les hauts d’où l’on retombe à coup sûr, les bas dont on ne se relève pas Je sais que le chemin de la douleur n’a de stations qu’en nombre limité Je sais le souffle haché, le souffle coupé, l’haleine fétide, les effluves d’air cru et les émanations du gaz de ville Je sais les étreintes vides, la semence crachée par dépit sur la porcelaine Je sais la face du mot qui vous sera renvoyée comme une gifle Je sais que l’amitié et l’amour n’ont pas d’aubier Je sais que les amarres rompues, le cou brisé, la semelle usée ont pour commun dénominateur la corde Je sa...
Francis PONGE - CONCEPTION DE L'AMOUR EN 1928 Je doute que le véritable amour comporte du désir, de la ferveur, de la passion. Je ne doute pas qu'il ne puisse : NAÎTRE que d'une disposition à approuver quoi que ce soit, puis d'un abandon amical au hasard; ou aux usages du monde, pour vous conduire à telles ou telles rencontres ; VIVRE que d'une application extrême dans chacune de ces rencontres à ne pas gêner l'objet de vos regards et à laisser vivre comme s'il ne vous avait jamais rencontré ; SE SATISFAIRE que d'une approbation aussi secrète qu'absolue, d'une adaptation si totale et si détaillée que vos paroles à jamais traitent tout le monde comme le traite cet objet par la place qu'il occupe, ses ressemblances, ses différences, toutes ses qualités ; MOURIR enfin que par l'effet prolongé de cet effacement, de cette disparition complète à ses yeux - et par l'effet aussi de l'abando...
Souffrance cosmique Moi, le vent brûlant du désert, je me suis refroidi et j'ai pris forme Où est le soleil qui peut me libérer ou bien l'éclair qui peut me fracasser ! Lors je lève, tête de sphinx pétrifiée, des yeux en courroux vers tous les cieux
HENRI MICHAUX - PASSAGES Qu’est-ce que je fais ? J’appelle. J’appelle. J’appelle. Je ne sais qui j’appelle. Qui j’appelle ne sait pas. J’appelle quelqu’un de faible, quelqu’un de brisé, quelqu’un de fier que rien n’a pu briser. J’appelle. J’appelle quelqu’un de là-bas, quelqu’un au loin perdu, quelqu’un d’un autre monde. (C’était donc tout mensonge, ma solidité ?) J’appelle. Devant cet instrument si clair, ce n’est pas comme ce serait avec ma voix sourde. Devant cet instrument chantant qui ne me juge pas, qui ne m’observe pas, perdant toute honte, j’appelle, j’appelle, j’appelle du fond de la tombe de mon enfance qui boude et se contracte encore, du fond de mon désert présent, j’appelle, j’appelle. L’appel m’étonne moi-même. Quoique ce soit tard, j’...
Via Jean Lavoué Un vrai tableau, c’est une merveille. On peut en vivre. Il ne s’agit pas de multiplier… Peindre me fait peur. Vivre tout cela, je le vis comme une histoire qui n’est pas sans danger. Mais je dois rester le maître… Moi je suis heureux, comme si la vie si fragile a tout de même la chance d’être… J’ai toujours voulu être peintre. Je ne sais jamais le tableau qui va venir. C’est une sorte de plongeon dans un monde qui est en moi mais je dois le voir… La peinture a une possibilité qu’on ignore. Chaque fois, un tableau vient et je ne le savais pas. L’acte est une sorte de désespoir dont on ne sait rien, qui vous plonge à l’intérieur… Je suis attentif à une sorte de vie en moi et la peinture m’aide sur cette route et j’attends tranquillement que l’autre possibilité vienne car c’est ici que je vis. Il y a un g...
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